Bleach, c'est l'album bourré de défauts, amateur sur certains points mais qui renferme une énergie et un potentiel (confirmé plus tard) qui ne peut qu'emporter l'auditeur amateur de sonorités un peu crades.
Sans refaire l'histoire en entière, l'album est enregistré avec peu de moyens chez SubPop, un petit label plutôt underground mais bien sympa de Seattle. La production sonne brut, sale, sans chichi : du grunge comme en proposaient les scènes musicales du moment fortement inspiré de Hard rock plus ancien.
Je suis particulièrement amateur de ce genre d'aspérités en musique, une rugosité que je préfère largement au coté très lisse d'un Nevermind (malgré ses compositions biens meilleures).
La voix de Kurt n'est pas parfaite (euphémisme), particulièrement sur les backs mais dégage une rage authentique. Instrumentalement et au niveau de la composition, c'est parfois un peu branlant mais c'est fait avec une telle envie que le tout donne envie de bouger fort comme devant un bon concert d'une scène locale (c'est un très bon point pour moi).
Les guitares sont pleines de disto jamais loin du Larsen et balancent du riff simples mais efficaces en veux-tu en voilà tandis que la basse de Novoselic vrombit avec profondeur pour alourdir le tout. L'accompagnement rythmique de Chad Channing est plutôt décevant tant il manque souvent de punch comme de folie. Dale Crover qui était à la batterie pour trois morceaux (Floyd The Barber/Paper Cut/Downer) sonne amateur bien que les influences que l'on perçoit à travers son jeu soient bien à propos. Kurt/Kris auront décidemment fait un sacré mercato avec ce diable de Dave Grohl.
Un solo assez naïf au milieu de Floyd the Barber ou une intro de Blew qui dépote malgré un coup de mou au cœur de la chanson. Une balade superbe avec About a Girl qui comporte la réelle patte Nirvana : une mélodie pop qui se retient facilement accompagnée d'une voix aussi bien puissante que lancinante. La reprise de Love Buzz particulièrement maitrisée avec sa basse bien en avant. Des chansons comme l'excellente School, Negative Creep ou Mr. Moustache d'une sauvagerie communicative. Sifting ou Downer, des titres juste ratés à mon sens (même si la première a un potentiel certain).
Niveau des textes, on navigue entre amertume, colère, ironie sombre et parfois ressentiment. La haine de Kurt pour son environnement est toujours sous-jacente. Il nous parle sur ce ton aussi bien de drogue, que du divorce de ses parents ou encore de viol (pédophilie). On perçoit dans certains titres comme Mr. Moustache la touche féministe/anti-viriliste (trop peu évoquée) qui accompagnera toujours le chanteur.
Le tout, tiers-grunge tiers-hard rock tiers-punk, est inégal mais qu'importe : on prend un grand plaisir à écouter cette longue plainte teintée de rage, sombre comme un cri s'échappant d'une mare de boue (pour rester poli). J'aime la saleté !