"Nos jeunes esprits s'impressionnent,
Au rouge orangé de l'automne."
Si une image pouvait me rester d'Etienne Daho, j'aimerais vraiment que ce soit celle-ci. Pochette à la fois profonde, noire et tellement sensuelle (clin d'oeil à Lou Reed?), c'est sans nul doute mon artwork préféré de toute sa carrière, à apprécier dans le grand format dû au vinyle, objet déjà rare dans le cas de l'album dont nous parlons aujourd'hui, Blitz, dernier album en date du dandy pop rennais, sorti en 2017 chez Virgin, comme son premier LP Mythomane, la boucle est bouclée.
Blitz, du nom de la période durant laquelle l'Angleterre solitaire se faisait recouvrir par les bombes nazies, entre 1940 et 1945. On parla longtemps des "séquelles du Blitz", tant sur le paysage britannique à proprement parler, marqué à jamais, que sur l'âme et les comportements de ses habitants.
Il ne s’agit pas un concept album sur la Seconde Guerre Mondiale, à l'image d'un Rock Around The Bunker (en réalité, le seul titre faisant vaguement écho à cette période est le poétique "Hôtel des Infidèles"). Son titre est en fait un clin d'oeil à la période que nous vivons quelque peu depuis 2015. Depuis que Charlie s'est fait massacrer, de même que les mélomanes du Bataclan quelques mois plus tard. A la peur se succède une habitude morbide, trains annulés, aéroports évacués, colis piégés, mouvements de foule, panique mentale, méfiance absolue. En soit, la peur, sans en avoir l'air. Blitz, comme les anglais en quelque sorte.
Après l'éclatante Innocence Retrouvée, Daho nous propose un recueil bien plus sombre, abandonnant ses cordes Melody Nelsonnesques pour les guitares traitées et autres voix trafiquées, un recueil pour les nuits d'un autre âge, clubs miteux noyés dans un éclat verdâtre.
Si l'Innocence retrouvée est l’hommage décelable aux maîtres Françoise Hardy et Serge Gainsbourg, alors Blitz est l'allégeance claire au Pink Floyd du début, et en particulier à Syd Barrett. Bien que nous ayant quitté en 2006, Daho l’a quasi-rencontré durant l’élaboration de l’album, à Londres.
C’est en sympathisant avec le peintre post-impressionniste Duggie Fields, ancien colocataire de Barrett, que l’artiste s’offre une visite à Frome Court, dans l’appartement que Syd a occupé.
Icône culte absolue, The Piper At The Gates Of Dawn est le premier album de Pink Floyd, et le premier disque que le jeune Daho put s’offrir, étant jeune. Il se retrouve ainsi dans la chambre de Syd, la même que sur la pochette de The Madcap Laugh, et en tirera un des titres de Blitz,
« Chambre 29 », récit fascinant d’une première nuit d’amour, au bridge d’une douceur presque FM et aux percussions très floydiennes (vous les reconnaitrez tout de suite).
Daho s’attaque ici à un nouveau genre, le néo-psychédélisme, qualifié ainsi pour sa réactualisation des thèmes déjà explorés à la fin des années soixante par certains des chantres de l’histoire musicale moderne. Il s’est entouré pour cela du groupe Unloved, nouveau fleuron underground américain, et en partie responsable de la réémergence du psyché dans la musique rock actuelle. Car c’est certain, Blitz est un album rock, dur et pur.
De l’introduction morriconienne des « Filles du Canyon », où résonne la voix prophétique de Duggie Fields, ordonnant « d’ouvrir la porte dans le désert », aux arpèges heavy melodieux et aux chœurs hypnotiques (réalisés avec brio par Jade Vincent, chanteuse d’Unloved, et Calypso Valois, accessoirement filleule de Daho et fille d’Elli et Jacno), en passant par « Voodoo Voodoo » ou par « L’Etincelle », Blitz nous plonge dans une ambiance sombre, mais pas triste pour autant, où les guitares sont bruyantes et les rythmiques assumées, comme sur « Le Jardin », hommage à sa sœur disparue. Un album, aux sonorités assez urbaines mais sans pour autant virer vers le rap, un recueil sans concessions qu’on pourrait aisément rapprocher de son Réévolution de 2003, notamment sur le côté parfois exercice de style des sons proposés.
Mais les chiens ne font pas des chats, et la pop dont Daho est l’image française se retrouve mise à l’honneur par « Chambre 29 », évoquée précédemment, « Nocturne », véritable slow décadent aux chœurs désincarnés et lointains, et surtout par « Les Flocons de l’Eté », retour à tête reposée sur la péritonite qui faillit lui coûter la vie, splendeur synthétique et psychédélique, choix logique comme single iconique.
« The Deep End », en duo avec Jade Vincent, est l’OVNI de Blitz, curiosité inclassable à l’orée de différents styles, mais encore et surtout profondément psyché. « Après le Blitz », concoctée avec Flavien Berger, s’offre comme une conclusion avant la douceur de « Nocturne », on voit des gens sortant des ruines, pour aller danser. Ainsi, comme dit précédemment, la boucle est bouclée.
Cet album n’est pas souvent retenu parmi les plus marquants d’Etienne Daho, bien qu’il fourmille d’idées particulièrement intéressantes. Il est sans doute vrai que Blitz est bien moins accessible que l’Innocence Retrouvée, tant par le fond que la forme, et que l’absence de titre réellement unificateur (en effet, pas de « Saudade » ou de « Bleu Comme Toi » ici) peut expliquer la relative indifférence des gens à son égard. Ce tour de force psychédélique est un « coup d’un soir », qu’il ne refera sans doute jamais, cela lui donne un certain aura culte, comme dirait l’autre. Malgré un intensif battage médiatique, le public ne semble pas prêt pour ça (mais ne l’a-t-il jamais été ?).
Car Daho offre un album prétentieux dans le bon sens du terme, hommage à la face plus cachée de ses inspirations, et à une vie qu’il n’a quasi-jamais vécu. Des villes, des clubs, des gens hagards émergeants de ruines branlantes, un retour à la vie après une longue nuit. Peut-être est-ce son Berlin à lui, qui sait ?
Blitz, et l’éclair retentit,
C’est le jour qui se lève.
Lien vers ma chronique des Chansons de L'Innocence Retrouvée
Blitz, full album
"Les Filles du Canyon"
"Chambre 29"
"Les Flocons de l'Eté", à écouter absolument
"Après le Blitz"