Certains parlent déjà de l'album de l'année : c'est un peu tôt pour se prononcer, mais cela ne serait pas voler. Christopher Breaux, alias Frank Ocean, 28 ans, avait déjà sublimé la planète R'n'B avec « Channel Orange » en 2012. Depuis, difficile de ne pas voir en lui un nouveau Marvin Gaye, mais avec « Blonde », il met fin à l'existence des catégories musicales, alors qu'il a déjà prêté sa plume à Beyoncé ou Justin Bieber. Car plus qu'une résurrection, « Blonde » est le manifeste d'un esprit totalement libre et radicalement talentueux, voire avant-gardiste. Totalement planant, l'album éclate différentes sonorités, faisant bouillonner le faitout musical, se constituant autant de rythme que de blues. À peine s'est amorcé l'excellent « Nike » que les tympans vibrent avec gourmandise. Quelques notes obscures, calmes, parfaitement équilibrée, le tout dans un nihilisme envoutant.
Frank Ocean associe brillamment des sonorités métissées, des bouclent inquiétantes, des paroles ensauvagées, des instrus grasses, ou encore des extraits évocateurs (« Don't smoke marijuana »), le tout avec une telle maestria qu'il se permet même des guest-star encore plus célèbres que lui, comme Kendrick Lamar, Andre 3000, voire Pharell Williams. De toute manière, ce maitre d'œuvre est un véritable observateur, allant également chercher des featuring avec des inconnus, comme Alex Giannascoli, guitariste scalpant les notes de « Endless », autre album de Frank Ocean, sorti cet été.
Se posant ainsi comme la succession R'n'B de Radiohead, Ocean explose des instru d'une surprenante richesse, autant qu'elles sont minimalistes, posées, comme si nous étions face à un film de Terrence Malick. De cette fulgurance s'étire une épure lyrique, dépouillée de toute irrégularité et de circonlocution, tissée par un flow au cordeau, brouillant les pistes de cette œuvre éclectique et incontestablement monolithique. Et le titre l'annonce, « Blonde », nous étions en droit de nous attendre à un album sensuel, efficace, mais au final, Ocean se tourne davantage vers y-une atmosphère céleste et hypnotique, presque ankylosée. Il lance le même écho mondain qu'un Kanye West, ne tient pas en place et finit par foncer dans un ton léthargique, à des années lumières des cadences consensuelles, de plus en plus présentes dans le R'n'B. Car « Blonde » n'est qu'un orage électrique somnambule.