Il n'est jamais facile d'écrire "sérieusement" à propos des choses que l'on aime, ce qui nous remue et nous prend aux tripes. De ces films, ces albums, ces livres que l'on connaît par coeur. Je me lance aujourd'hui dans la périlleuse épreuve de parler d'un des albums qui compte le plus pour moi sans user de 1000 superlatifs par ligne. Bref, commençons :
Il existe et persiste dans ce bas monde des monuments, des fondateurs, des géants aux constellations musicales à leur image.
Bob Dylan est un de ceux-là, un caméléon des genres. Surtout dans ces 60's qu'il a tant agité et bouleversé de sa voix et de son harmonica hurlant.
Cet instrument, cette voix déraillée, c'est un fou ce type. Se dire que ce petit plouc du Minnesota a autant voir plus marqué son temps que des crooners et des chanteurs pop à la voix sucrée, taillés pour les hit parades, je trouve ça incroyable. Des fausses notes à foison mais on boit chacune d'entre elles, on en redemande et on s'extase à chaque fois.
En 1966, le Zim est (déjà) au firmament de sa carrière. Oui, en l'espace de 4 ans et 6 (!) albums, il a embrassé blues, folk, rock et fut le porte-parole de toute une génération, statut qu'il ne put assumer indéfiniment. Puisque après "The freewheelin' Bob Dylan" et "The Times they're a changin'", l'artiste est à bout, enfermé dans la peau du héros, du messie désigné malgré lui et attendu par cette "beat generation" qui prend de la place, et qui souhaite se défaire de l'autorité de leurs ainés, conservateurs et "as been". Cette rupture entre Dylan et ses "disciples" arrive avec "Another side of Bob Dylan" (1964), remplit de chansons d'amour et de délires lyriques (sa consommation de cannabis faisant), en total désaccord avec ses précédents manifestes folk.
1965 marque un autre tournant, son passage à l'électrique et son très remarqué passage au Newport Folk Festival armé de sa guitare sacrilège et de ses textes futiles (du point de vue du public).
Puis vint la même année sa triplette rock avec "Bringing it all back home", "Higway 61 Revisited" et notre "Blonde on Blonde" qui la clôture. Une révolution dans le monde musical, reunnissant folk et rock, Bob s'est affranchi de ses positions politiques et de ceux qui le suivaient jadis à Washington durant "La Marche". L'homme est soulagé et indépendant, l'artiste est libre artistiquement et va laisser libre cours à sa créativité et à son talent. Entre 1965 et 1966, Dylan est intouchable, 3 albums magnifiques, son harmonica comme étendard, sa voix comme orage sur l'industrie. Il introduit les Beatles à l'herbe (merci au passage), ses actions artistiques et son impact donnent naissance à un paquet d'artistes nouveaux, empreint d'un souffle folk (Byrds, Mamas and the Papas, Lovin' Spoonful etc...). Une nouvelle idole rock pour la jeunesse, un "judas" pour la scène et le public folk.
Maintenant, revenons en à Blonde on Blonde.
Premièrement, il est le 1er double-album de l'histoire de la musique. Symbole de la créativité avide de Dylan à cette époque, il est un mélange de ses influences et de son style: parfois folk-doux avec "Just like a woman"; blues avec "Leopard skin pill-box hat"; pop comme dans le sublime morceau "I want you". Le style est bien encré, "(Sooner or later) One of us most know" en est le parfait exemple, une orgie superbe (ce piano mama, ce piano!), une symbiose entre voix et instruments, fruit de l'association entre Bob, quelques membres du groupe The Hawks (qui deviendront "The Band") et toute la crème des musiciens studio de Nashville. La plume est inventive et surprend comme dans "Sad eyed lady of the low land", délire littéraire de 11 minutes, reflet de son orientation vers des textes mélancoliques voire surréalistes (on retrouvait déjà cela dans "Desolation row", chanson de clôture d'Higway 61 revisited).
Une partie du public de l'artiste sera réticente à cette nouvelle orientation, s'éloignant de plus en plus de ses débuts et faisant la part belle à l'expérimentation. Mais peu importe, peu importe ces critiques, personne n'y échappe après tout! Il faut avancer et ne plus regarder en arrière. Plus rien ne sera comme avant, la marche continue.
Blonde on blonde est une Bible, un musée, un best of à lui tout seul. Clôturant la trilogie rock de Bob Dylan, à l'impact immense et avec peu d'équivalent. Elle est comparable à l'enchaînement "Rubber Soul", "Revolver", "Sergent Peppers" des Fab Four, tant dans sa folle diversité que dans son impact culturel. Ces albums sont aussi intimement liés par la mary-jane, ouvrant les portes de la perception, avant le défoulement psychédélique de 1967 et l'abandon à l'amour et aux dimensions jusqu'à l'apogée du festival de Woodstock.
1966, année charnière. Revolver, Blonde on blonde, Pet Sounds, Aftermath, Bluesbreakers with Eric Clapton, Sunshine Superman, Face to face etc...
Là où elle est pour beaucoup signe de succès et du début d'une ère, cette année symbolise la fin de l'âge d'or pour Zim. Un arrêt brutal, un accident de moto qui servira de prétexte à l'artiste pour s'éloigner des scènes durant 3 ans. L'homme est fatigué, l'artiste en quête de renouveau. Dylan ne se reconnait plus dans ses textes, notamment dans les ébauches de son roman Tarantula qu'il sort en 1967 sous la pression de son label. Comme il le disait dans "Fourth time around": "everybody must give something back for something they get". Comme si son succès et sa créativité avait un prix, un pacte étrange avec lui-même. Son feeling artistique ne sera plus jamais le même comme le laissera entendre "John Wesley Harding" de 1968, l'album de son retour, autant dans les bacs que dans le style (pseudo) folk, mais toujours avec ses influences country et blues. Fini la vie d'excès, la drogue et le rock, l'avenir est à Woodstock, pas au festival que Dylan boudera, mais à sa maison de campagne, où il enregistrera "Nashville Skyline" en 1969, énième bijou, celui-ci empreint d'un souffle folk-country.
Il est loin le Dylan qui en 66, dominait son industrie. Et c'est assez incroyable de se dire que cet homme-là n'avait que 25 ans, mais avait déjà un statut et un héritage éternel et sans prix. Un jeune adulte alors qui me fait mettre le volume à fond pour mieux apprécier sa voix abimée, son harmonica, hurlement mécanique, continuité de sa voix qui vous fait hérisser les poils, et sa poésie chaude et romanesque. Le plaisir auditif à l'état pur, complété par les notes sublimes au piano et à la guitare de The Hawks. Comme Bob aimait à le dire "PLAY IT FUCKIN' LOUD!"
Merci Monsieur.