Longtemps, j’ai cessé d’écouter Lana Del Rey. Je me rappelais d’une période confuse du lycée où beaucoup écoutait ses tubes, mes proches aussi et sûrement moi. J’avais gratifié cet album d’un étrange petit 5, me rappelant peu des morceaux le composant en réalité. Alors que je cherchais hagarde un nouvel album à écouter, lassée d’entendre en boucle ce que je préfère, j’ai fouillé un peu de côté de mes éclaireurs et j’ai revu la figure de celui-ci. Ni une ni deux, je me décidai à la réécouter.
Et là, quelque chose s’est passé. Si on peut parler de madeleine de Proust, je peux affirmer qu’en écoutant cet album, c’est un paquet entier qualité Bonne Maman que j’ai re-découvert. Entendre Born To Die m’a ramené avec une telle force à une adolescence, que, si je veux en parler, je dois me baser sur ma biographie. Oui c’est un site de critique, pas un facebook, mais je crois que dans certains cas, il est tout bonnement impossible de parler d’une œuvre sans parler de soi, particulièrement avec la musique qui a ce pouvoir abstrait de relier les notes aux instants, les paroles aux ressentis, laissant par le manque de support visuel toute subjectivité à l’imagination de celui qui écoute. Voici donc mon voyage.
Cet album commence avec "Born To Die". Quelle ne fut pas ma surprise de me mettre immédiatement à chanter avec elle, sans vraiment m’en rendre compte, réciter ses paroles parfaitement avec son rythme, son ton. Cette chanson, un mélange d’amour, d’addiction, de pulsion inévitable de mort. Difficile de ne pas se revoir la nuit, vagabondant, un peu triste, un peu alcoolisée, poussée par la nuée d’étoiles, fredonnant cette chanson qui symbolise aussi bien le rêve et le désespoir, l’envie de l’amour à mort, la décadence par les sentiments. Les chansons continuent me plongeant doucement dans une tendre ambiance onirique. Lana Del Rey, avec sa voix lascive, qui se pose sur quelques accords commercialement bien calculés pour s’intégrer à des mélodies entêtantes que l’on a l’impression de connaître déjà au bout d’une minute, ramène inlassablement vers la familiarité, le souvenir et tout prend des tons pastel. Arrive "Video Games", le tube de la jeune femme. Autant dire que les paroles découlent d’elles-mêmes à nouveau, dans cette histoire d’amour du quotidien, de la routine, de la douceur aussi. Un pincement au cœur en repensant à l’époque où la très jeune fille en moi chantait cette chanson, avec sûrement la même mélancolie que Lana Del Rey, regrettant d’être privé de cet amour qui dure depuis si longtemps qu’il s’effrite par la routine. Trop jeune évidemment pour connaître ça dans tous les cas, mais surtout à cette époque fraîchement privé de ce rêve, comme le rappelle la prochaine que je connaissais par cœur, "Dark Paradise". Moi qui pensais ne pouvoir connaître que les tubes, que les clips, voilà que je me souviens aussi de cette chanson que j’écoutais en boucle après le conseil d’une amie parce qu’elle pensait à moi en l’écoutant. Cette malheureuse chanson que je fredonnais, que j’aimais, qui me paraissais comme une comptine de mon ressenti alors que j’étais bien trop jeune pour avoir à subir ces conneries. C’est avec "Summertime Sadness" qu’une mélancolie bien plus heureuse me rejoint à nouveau. A l’écoute de cette chanson, qui ne s’imagine pas en voiture au soleil, sortant en vacances ? On se rappelle ces éventuelles colonies de vacances, ces sorties dans les rues au béton brûlant de soleil et l’idéal de l’amour de vacances, celui ou celle qu’on idéalisera toujours sublimé par les quelques rayons de soleil de notre imaginaire. Puis viens "Ride" (olala mais elle évoque que les gros succès quoi – bah oui imbécile je ne peux pas avoir de souvenirs détaillés sur les autres chansons que j’ai bien trop peu écouté). Là c’est le déclic ultime. Ô combien j’avais écouté cette chanson, qui me paraissait comme l’un des plus profonds réconforts tant les paroles me parlaient, me comprenaient, surtout à la suite d'un parcours addictif et psychiatrique tortueux. Cet hymne à la route, à « l’aller de l’avant », « fatiguée de passer pour une putain d’hystérique » (« I’m tired of feeling like I’m fucking crazy »), parce que le monde s’est souvent effondré, qu’il y a une « guerre dans mon esprit » ("I've got a war in my mind") que j’avais envie de fuir, comme le chante Lana Del Rey qui roule, roule, roule.
Maintenant, so what ? Pourquoi ce récit un peu ridicule peut rendre compte de l’album de Lana Del Rey ? Et bien je pense qu’il y a quelque chose de puissant chez cette chanteuse. Que ce soit par sa voix, ses paroles, ses mélodies entêtantes, ses musiques originales, elle renvoie chacun à sa propre vie, à ses souvenirs, elle est comme une voix de la jeunesse avec ses accords qui sonnent un peu rétro, sa lassitude qui fait remonter le temps, son univers si fort qu’il fait voyager et qu’on se sent elle en restant nous. Elle rend lointain et mélancolique ce qui a à peine cinq, elle est la jolie parole d’une adolescence mais pour tous les âges.