Boys and Girls
7.4
Boys and Girls

Album de Bryan Ferry (1985)

"No more music

Don’t stop the dance"




Tâche ardue que d’être à la fois cool et ringard, branché et complètement déphasé. Peu arrivent à ce style d’accomplissement, Bryan Ferry est l’un de ces hommes-là.  Brillant frontman et songwriter des pontes de l’art rock Roxy Music, le sieur a aussi su s’épancher dans une carrière solo des plus passionnantes, manquant assez d’une considération pourtant largement méritée. Alors, parlons aujourd’hui de Boys And Girls, cinquième cru solo de Ferry sorti en 1985 chez EG Records. 


L’astuce pour durer est de sans cesse proposer une expérience différente. Roxy Music a superbement assimilé cette leçon, à tel point que les neuf albums constituant sa discographie (comprenant le live quintessentiel Viva !) ont aujourd’hui gagné leur statut de classique de la musique pop. L’ambition avec cette formation était de proposer l’alternative anglaise au Velvet Underground américain. Biberonné à Warhol, la soul de Motown, aux girl groups et aux Beatles, Ferry, avec ses camarades, offre une réelle spécificité dans ce paysage glam anglais parfois légèrement uniforme. Les premières et secondes parties de carrière jouent sur l’aspect étrange et dandy de ces anglais pur jus, et tous leurs disques, aux pochettes féminines, glamours et iconiques, rencontrèrent le succès. 


Néanmoins, et rapidement, Bryan Ferry éprouve le besoin de s’exprimer d’une autre façon par lui-même, en solo. Ici, pas question de compositions, il les garde bien précieusement pour Roxy Music. Ici, Bryan se fait plaisir en reprenant des titres l’ayant marqué, qui lui plaisent, qui à un moment ou un autre ont exercé une influence sur le jeune homme qu’il est toujours. These Foolish Things, premier cru solo, sort en même temps que le Pin Ups de Bowie, 1973 est l’heure aux reprises, courtes et frappantes. Another Time, Another Place (1974) prolonge le tir, en se countrysant : exit Stones et Beatles, hello Nelson et Kristopherson.  


L’incartade Let’s Stick Together (1976) marque la fin de cette première période de covers pour un résultat en demi-teinte, avant que Bryan (alors en pause de Roxy Music) se fende d’un album entier d’originaux élaboré avec Chris Spedding, l’excellent In Your Mind de 1977. Vient ensuite l’objet intriguant The Bride Stripped Bare (1978) , inspiré par Duchamp et sa séparation avec la belle Jerry Hall (qui deviendra vite Mme Mick Jagger), un retour aux reprises diverses, accompagné d’originaux marquants tels que le classique « Can’t Let Go ». La vague punk/new wave rabat les cartes et annonce le rassemblement de Roxy Music, pour le tiercé gagnant Manifesto (1979) , Flesh And Blood (1980)  et le carton Avalon (1982) , d’inspiration nouvelle vague et synthétisme, tout en restant fumeux, classieux. 


Il faut bien comprendre dans toute cette histoire c’est la carrière solo de Ferry qui façonna son personnage de dandy-crooner, espèce de réminiscence d’un Sinatra perdu hors de Vegas dans les seventies. L’aspect réellement expérimental de Roxy Music prit fin avec le départ de Brian Eno, qui échappa par la même au syndrome « petit-Mozart-de-la-pop » (nous saluons Brian Wilson). La musique du groupe se teinta de pop classieuse, véritable écrin pour la voix délicate et langoureuse de M. Ferry. C’est le virage glamour de la formation, jolis filles, champagne, piscine, homard et tuxedo blanc. 


La new wave de Roxy Music séduit les foules, mais après Avalon le cœur n’y est plus. Le groupe splitte pour ne jamais vraiment se reformer, et Ferry décide de se remettre en selle, en reproduisant le carton plein du dernier né du groupe, sans ses petits camarades Phil Manzanera et Andy Mackay.  


Ce sera fait avec Boys And Girls (produit par Rhett Davies, revenant d'Avalon), meilleur cru de la carrière de Ferry (avec In Your Mind à mon sens) et succès planétaire. Par cela il entame la troisième partie de sa carrière solo, s’assumant enfin comme auteur pour lui-même. Avec une véritable orgie d’invités (Mark Knopfler, Omar Hakim, David Gilmour, David Sanborn, Nile Rodgers…), Bryan propose le soft rock de demain, tout en nappe de synthés, guitare aérienne, fumée derrière le bar, belle créature au bras et roucoulage racoleur.  


J’adore cet album depuis longtemps, tant ses succès que ses perles plus cachées. Le bal commence avec l’intro fumeuse de "Sensation", aux saxos réminiscences de « The Space Between » sur Avalon, velours sur vos joues et chœurs cristallins. Tout le monde connaît « Slave To Love », le roi des sloves, du plus bel effet dans tous les cas avec ce piano réguliers et ses percussions électroniques. Peut être qu’Elton John aurait dû jeter un œil à ce qui se faisait chez la concurrence. Délire sensuel, format quarante-cinq tours minutes. 


Ferry enchaîne avec le second grand classique du disque, le syncopé « Don’t Stop The Dance », peut être le véritable écrin de Boys And Girls. On y cultive toujours l’évanescence, le mystère, invitant son partenaire à ne surtout pas s’arrêter, sous peine de mort immédiate avec comme seule garantie le saxophone érotique de Sanborn. Le court instrumental « A Waste Land » amène « Windswept », magnificence electro-acoustique aux échos de guitares lointains, très gilmourienne dans l’esprit.  


« The Chosen One » se fait biblique, tandis que le reggae « Valentine » fait chalouper, sans compter sur le slapping furieux de « Stone Woman ». La chanson-titre achève ce bal évanescent sur une note plus expérimentale, comme si tout cela n’avait jamais existé, au final du pop art honorable : en apparence immédiatement jetable, bien que cela ne soit pas vraiment correct. Le thème central fut moultes fois exploré, l’amour, et pourtant quel plaisir de le voir décortiqué par un Ferry libre de tout engagement. 1985, le futur c’est maintenant. 


Boys And Girls est un album qui reste en tête, avec des mélodies imparables et toujours cette ambiance de dandysme mystère. Qui sont ces deux supermen sur la pochette, reflet sculptural d’un amour qu’on idéalise toujours ? C’est velouté, c’est doux, c’est parfaitement mixé (Bob Clearmountain est dans le coin, celui qui a rendu lisse les Rolling Stones). Toutes les écoutes baignent dans cette ambiance violette, on ne voit pas trop devant soi dans la brume de parfum, mais quel intérêt après tout ?  


On franchit encore une marche vers le soft, ça y est, Ferry abandonne vraiment le rock, si tant est qu’il y soit arrivé à un moment. Le disque sera un grand succès critique et commercial, et Bryan ira se dandiner devant le monde entier au Live Aid, interprétant « Slave To Love » et « Jealous Guy », accompagné par Sting à la basse et par Phil Collins à la batterie.


Il réitérera l’expérience avec les très bons Bête Noire de 1987 et Taxi de 1993, puis s’en ira vers d’autres horizons, retrouver Eno et Roxy … 


Boys and Girls, mirage à jamais moderne.  

lyons_pride_
8
Écrit par

Créée

le 9 juil. 2024

Critique lue 23 fois

2 j'aime

lyons_pride_

Écrit par

Critique lue 23 fois

2

D'autres avis sur Boys and Girls

Boys and Girls
lyons_pride_
8

Évanescent

"No more musicDon’t stop the dance"Tâche ardue que d’être à la fois cool et ringard, branché et complètement déphasé. Peu arrivent à ce style d’accomplissement, Bryan Ferry est l’un de ces...

le 9 juil. 2024

2 j'aime

Boys and Girls
SombreLune
9

Douceur et mélancolie

C'est sur Bryan Ferry a su bien s'entourer pour cet album qui est magnifique. Comment peut on rater un album avec des musiciens de cette envergure ! On y trouve en "vrac" David Gilmour des Pink Floyd...

le 9 janv. 2016

1 j'aime

Du même critique

Station to Station
lyons_pride_
10

Throwing darts in lover's eyes

53 kilos, régime à la coke, aux poivrons et au lait, croyant voir des fantômes venus de la part des Rolling Stones dans sa grande villa de L.A., voilà à quoi ressemble le David Bowie de 1975...

le 13 déc. 2021

6 j'aime

2

Tout va sauter
lyons_pride_
9

Nos Allures Sages

Couple culte et pourtant méconnu, Elli & Jacno représentent un des sommets de la nouvelle pop française. Icônes de classe, reconnus par bien de nos contemporains (comment ne pas citer ce cher...

le 27 déc. 2022

5 j'aime

Odyssée (EP)
lyons_pride_
10

L'Exubérance Impériale

L'Impératrice est une formation assez fascinante, une des plus originales de la scène pop actuelle en France. J'ai déjà chroniqué leur deux albums, Matahari et TakoTsubo, mais il ne faut pas oublier...

le 16 juin 2022

5 j'aime