Call Me If You Get Lost
Aujourd’hui l’artiste Tyler, The Creator répond à une question frappante de notre époque contemporaine : Comment ne pas se perdre dans le chaotique album qu’est la vie ?
Tyler, The Creator est une figure emblématique extrêmement controversée du monde de la musique par ses prises de position sur des sujets de société sensibles de manière assez crue et immature. Cependant Rayane nous ne sommes pas là pour parler de politique me direz-vous. C’est alors que je vous répondrai que la maturité est ici le stade qu’a atteint l’auteur-compositeur musicien de génie qu’est Tyler. Il serait faux de dire que je suis un fan de longue date de l’artiste mais ces trois derniers projets Flower Boy, Igor et Call Me If You Get Lost forcent le respect et m’ont permis de pénétrer totalement dans l’univers du jeune compositeur à la vision artistique que l’on peut qualifier de tout sauf étriquée.
En effet les trois derniers albums énoncés précédemment sont littéralement des cours de direction artistique. Cependant pour avancer de manière chronologique, car oui il est très facile de se perdre dans la mélancolie d’Igor pour se retrouver sans crier gare dans les années 90 de Call me If You Get Lost pour enfin réapparaitre dans les champs de fleurs de Flower Boy. Il faut donc d’abord survoler les deux précédents projets du T, avec en premier lieu Flower Boy.
Comme vous avez pu le deviner avec le titre du projet on se retrouve dans un projet d’été (sorti le 21 juillet 2017). Album qui respire la nature dont les sonorités très Jazzy et Groovy qui appuie cette ambiance estivale avec des cuivres disséminés partout sur le projet. On y retrouve aussi des bruitages atypiques et acoustiques qui apporte une réelle profondeur et originalité au projet. Par exemple, on retrouve les applaudissements et les bruits d’ovnis dans l’excellentissime See You Again. Sur cette track Tyler est accompagné de la rayonnante Kali Uchis qui trouve parfaitement sa place avec sa voix angélique prédominante durant tout le début du son. Featuring qui est en fait aussi bien choisi que tous les autres sur le reste de la track-list passant de Frank Ocean (qui comme vous avez pu le lire dans ma précédente review sur Blonde) trouve merveilleusement sa place sur un projet aussi ensoleillé. Enfin il est aussi important de noter l’apparition de Rex Orange County qui apporte sa patte joviale de lover pour laquelle on le connaît si bien. Quant à la signification globale du message transmis on retrouve un Tyler plus doux, lisse et mielleux que dans ses précédents projets sans perdre sa pertinence quant aux sujets phares que sont : l’amour, la sexualité, la reconnaissance ou la solitude. Solitude et mélancolie qui seront au cœur même du deuxième monde nous allons désormais contempler celui d’Igor.
Bien trop d’interprétations de qui est Igor sont possibles je vous laisserai donc vous créer votre image de celui-ci par vous-même. Ici on a quelque chose de totalement différent de Flower Boy. On peut même ne pas le considérer comme un album de rap avec beaucoup plus de chant, de sonorités Lo Fi. On y retrouve une ambiance d’amour non-réciproque bien que trop connue pour l’entièreté de la population terrestre. C’est pourquoi l’album résonnera autant avec votre raison qu’avec votre for intérieur. On y aborde des sujets si sensibles que l’on enterre par peur de s’y blesser et qui resurgissent par l’intermédiaire de ce personnage d’Igor. Il est impossible de ne jamais avoir entendu EARFQUAKE avec le pertinent Playboi Carti qui incarne parfaitement la haine pour cet amoureux inintéressé. Avec en contraste Igor qui lui incarne le désarroi et l’attente du retour de cet amour impossible. On retrouve sur la track des synthétiseurs en stéréos magistralement maîtrisés et un piano qui rythme les différentes phases plus acoustiques de la track pour ensuite être transporté vers un refrain hypnotique. Et ce changement de direction artistique semble avoir payé vu les performances du projet auprès du public avec un grammy gagné et un top 1 du Hot 100 Chart de Billboard.
Ainsi on passe d’un été ensoleillé à la morosité d’un automne rempli de recale pour enfin être transporté vers Call me if You get Lost le principal intéressé de cette review.


CMIYGL était donc un projet plus qu’attendu par la critique et le public. Je ne vais pas vous faire trépigner plus longtemps pour vous dire que l’album est excellent. Ici Bunny Hope est revenu à ses sources avec des sons bien plus sinistres et edgy comme on avait pu l’écouter notamment sur son précédent album Cherry Bomb. Direction artistique parfaitement maîtrisée qui va à l’encontre même du titre du projet. Car oui on semble apercevoir un Tyler qui s’est trouvé et qui est extrêmement solide tant en musicalité qu’en lyrics. En effet ce projet est un joyau de sonorités brutes et agressives dans sa majorité à quelques exceptions prêtes. Exceptions qui sont elles-mêmes parfaitement orchestrées pour nous rappeler que The Creator ne se cantonne pas à une seule atmosphère par manque d’originalité ou d’inspiration mais bien au contraire.
Premier ovni dans un projet aussi sauvage c’est l’excellent WUSYANAME. En effet on est directement transporté dans les années 90/2000 avec un son rappelant énormément le RnB très romantique d’une période que je n’ai pas connue. Période qui est pourtant si imagée grâce à ce son notamment. Comme à son habitude on retrouve des lyrics à la fois drôle et pertinents comme sa fameuse pick-up line : « Ahh you look malnourished » en s’adressant à la femme dont il est tombé amoureux tout en lui faisant miroiter une vie de couple idéale en passant du voyage au date au cinéma indépendant du quartier. Mais la plus grosse surprise c’est NBA Youngboy qui trouve (à mon grand étonnement) parfaitement sa place avec une voix rappelant le old school Lil Wayne et un flow rapide et envoûtant.
Lil Wayne qui est aussi présent sur le projet et revient d’entre les morts. En effet avec ce premier bon son depuis 10 ans il fait une apparition forte et n’a pas à rougir quant à sa contribution sur un album aussi solide. HOT WIND BLOWS joue superbement bien sur des flûtes à la fois rythmées et chaotiques avec un sample majestueux de la voix de Penny Goodwin. Chaos qui est extrêmement bien reproduit dans le single LUMBERJACK avec un piano en pleine crise d’épilepsie et des Basses monstrueuses formant ainsi un super mélange. Et les mélanges ne se font pas timides sur le projet avec un trio digne des meilleurs protagonistes de série possible avec Tyler, Lil Uzi Vert et Pharrell Williams qui s’allient sur un son de sirène et des flows intangibles avec un couplet hors du commun de Pharrell et une phase rappelant celle d’Alpha Wann sur Stuntmen « They just got the closest picture of the fucking sun surface that was us ». Champ lexical spatial qui semble être pas mal prisé aux US avec le single où apparait le T Gravity (que je vous recommande grandement) en featuring avec Brent Faiyaz. Brent qui apparaitra de manière plus anecdotique mais qui adoucit le ton sauvage du projet lors de son passage sur SWEET. Enfin on notera l’excellent CORSO qui est à l’image même du projet avec une production saturée et un Tyler comme détaché lorsqu’il pose. Il faut noter que le clip accompagnant cette track est tout aussi bon que le son en lui-même. On y retrouve d’ailleurs les mêmes interventions intempestives de DJ Drama.
Interventions qui servent encore une fois un seul et même objectif la direction artistique. En effet on retrouve aussi des sonneries de téléphone disséminées partout sur le projet. Cela permet de montrer que bien que l’artiste se soit trouvé artistiquement parlant, il reste totalement perdu dans le monde de la musique et les différentes choses qui gravitent autour. Il appelle donc en permanence car il est tout le temps perdu. L’interprétation et le message que je tire de ce projet est que même les plus grands artistes restent perdus dans le dans le court album qu’est la vie. Personne n’est jamais certains d’où il en est dans sa vie et l’art qu’est la musique est un point d’accroche dans les tumultes que nous réserve les différents albums qui nous sont propres.

Rayane_
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le 6 juil. 2021

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