Abyssale tristesse, abyssale beauté

Sufjan Stevens est un phénomène artistique hors normes, et probablement l'un des plus intéressants du moment. Il a marqué les années 2000 par ses premiers albums, qui devaient s'inscrire dans le projet global de consacrer un album pour chacun des 50 états américains. D'où les remarquables Michigan et Illinois, explorant un univers néo folk orchestral avec des titres tels que "John Wayne Gacy Jr", "Chicago" ou "To be alone with you" qui sont devenus des classiques, mais Stevens a aussi développé une veine chrétienne avec plusieurs volumes imposants et remarquables consacrés aux chants de Noël.
Il revient cinq ans après l'exceptionnel et extraverti The Age of Adz (et dans la foulée le fracassant concert parisien à l'Olympia en mai 2011) aux sonorités électroniques qui rompaient avec le sillon néo folk tracé depuis ses débuts. Démultipliant dans les années 2010 plusieurs projets différents, notamment avec le compositeur Nico Muhly, le danseur Justin Peck et avec le rappeur Serengeti (projet Sysiphus), la personnalité protéiforme de Sufjan Stevens, gueule d'ange sexy au tempérament mystérieux et mélancolique, n'est pas étrangère à la puissante séduction qu'il exerce.


Carrie and Lowell est l'un de ses tous meilleurs albums, approfondissant et singularisant la voie d'avant The Age of Adz, renouant une esthétique dépouillée et délicate, dans un univers acoustique avec guitare et claviers, sans basse, et quasi absence de percussions. Stevens se livre totalement dans cet album qui dévoile son enfance meurtrie avec l'absence de Carrie, sa mère schizophrène, dépressive et toxicomane qui l'a quitté alors qu'il avait 1 an, et qu'il a revue épisodiquement durant sa jeunesse. C'est également un album de deuil, après la mort de Carrie survenue en 2012, explorant une vie personnelle douloureuse, qui donne lieu à des textes d'une tristesse émouvante, hantés par la mort, la souffrance, la recherche de l'amour, où parfois quelques faibles lueurs d'espoirs et des moments de sérénité apparaissent. Chaque chanson est liée à un aspect de cette vie éprouvante et à l'instabilité que ressent Stevens, évoquant ses doutes et ses souffrances à l'aide de métaphores très suggestives ("My black shroud/captain of my feelings/the only things I wanna believe").


Filet de voix enivrant, chœurs séraphiques dans plusieurs morceaux, mélodies déchirantes et subtiles, arrangements ciselés, Stevens envoûte autant qu'il convainc par la profonde originalité de sa démarche, qui tient autant dans la recomposition des influences (Elliott Smith, Nick Drake, Simon et Garfunkel) que dans l'extrême intimité des textes qu'il nous fait partager.
On notera les magnifiques Should have known better, qui commence dans la noirceur avec les réminiscences des souffrances du passé et s'éclaircit peu à peu, avec la lumière d'espoir, dans une composition très élaborée, ou All of me Wants all of You, Fourth of July, qui sont les morceaux les plus emblématiques de cet album splendide.

Zitto
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le 7 avr. 2015

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