D'abord...lui
D'abord, petit, j'ai vu Brel à la télé. L'éternel, avec son costard noir et sa bouche énorme. J'étais subjugué, totalement aimanté par le bonhomme, ses bras, ses mains qui dessinaient ses mots, ses R. Je ne savais pas qu'il était belge. Je crois que je ne savais pas que la Belgique était un pays à cette époque. Mais en vérité, a-t-elle seulement vraiment existé?
Brel, il n'était pas beau, faut quand même le préciser. Il ressemblait à Éric Lavigne, un camarade de classe, grand collectionneur de femmes acrobates déposées, nues, sur du papier glacé.
Grand, maigre, ses fameux bras, trop longs, trop de dents, une propension à sortir un bout de langue, pour je sais pas, lui faire respirer l'indépendance. Et l'impression d'avoir découvert la source, que si les limaces et les escargots existaient, ils venaient de cette bouche, de ce monde.
De cette bouche-monde.
Et puis, derrière, tapis dans l'ombre, les mots qui poussaient pour embrasser la liberté, eux, qui vivaient cachés jusque-là, silencieux pour pas être pris, qu'un rayon de lumière aguichante avait fini de convaincre qu'ils pouvaient s'envoler et s'enrouler à ton front.
J'avais les poils et ce, même si j'en avais pas encore la queue d'un.
Quand j'ai découvert la Belgique, c'est par son trou de balle que j'ai commencé : Charleroi et les carolorégiens.
Le Marsupilami légendaire, ivre, hilare et fou, échappé et statufié illico après quelques bonds, en pénitence, sur un rond-point perdu du centre-ville.
Le pavé luisant des larmes et des bières, et les gens qui ricochent dessus comme si le monde, sournoisement, n'avait pas bougé de son axe, que le temps devait s'écouler ainsi, vaille que vaille. Comme il l'a toujours fait.
Quand il parlait de son Plat Pays, j'imaginais pas les collines. J'imaginais pas bien le son de la voix des gens et la lente danse indécente de leurs mots. Comme il fait bon s'y promener.
Leurs yeux immenses qui t'ouvrent les bras avant toute chose pour que t'y trouves une place.
Les alcools de zizi, ces rosés où ils font macérer des fleurs qu'ils prétendent médicinales.
Le Peyotl à chiquer, et la maison de Maître de mon amie, de ma frangine.
La binouze du matin, «épaisse, avec des bouts» qui te donnait envie de te gratter derrière les yeux.
Les nuits à jacasser d'éléphants dépressifs sans jamais oublier de s'arroser la glotte.
Jacter de Jackie et Michel avec un enfant de 7 ans qui t'explique que les français c'est des cons, mais toi, c'est pas pareil.
Une bâtisse en plein Gilly, sur la route principale, coincée entre un garage à pneus turc et un terroriste de la capote usagée. Je sais qu'en représailles, elle a enterré un jambon dans son jardin.
Une porte si lourde, si massive, qu'il faut lui téléphoner la veille pour qu'elle réussisse à l'entrouvrir pour t'accueillir.
Sa cave, avec ses cachots. Les verrous à l'extérieur.
Je crois que j'ai su, dès la première fois où j'ai quitté la France pour être accueilli en Wallonie, que ce pays et moi, ça serait : à la vie, à la mort.
Et pourtant, j'aime le soleil.
J'ai vu la Belgique sous la neige, sous le froid. Celui qui te fait perdre instantanément 10 cm de bistouquette.
Les fricadelles à la composition gardée secrète, la mitraillette et les frites épaisses de graisse. C'est comme si ce pays avait été fait pour moi.
Écoute, j'ai vu un avion gigantesque posé sur le bord de la route. J'ai cru rêver et quelqu'un m'a dit que non, tu as bien vu, c'était un restaurant tantôt.
Ils parlent un peu comme si on était dans l'ancien temps, un mélange de désuet et de foutage de gueule.
Alors, tu vas rire mais, je pense qu'un peu comme Gabriel, le Grand Jacques était un ange. Qu'il venait m'annoncer quelque-chose qu'immédiatement, je n'ai pas saisi.
Parfois, semblant qu'c'est pas exprès, j'ai envie d'être Royaliste.
Plutôt Belge que Marocain du coup.
Je reviendrai
La bise, Godverdomme !