J'ai beaucoup entendu dire que le problème de Cherry Bomb était sa production qui sonnait dégueulasse, mais finalement ce n'est pas réellement ce qui rend l'album indigeste. Car finalement mêler le hip hop de Tyler à la grosse saturation dégueulasse qui fait dégouliner chaque morceau autour de ses contours jusqu'à le faire fondre en une bouillie infecte est de base un choix artistique intéressant, qui aurait pu donner lieu à un album détonnant et fulgurant.
Mais si l'intention est louable, sa réalisation l'est beaucoup moins.
La rythmique enjouée et les coupures répétées de DEATHCAMP sont lassantes, parce que la boucle mélodique qu'on entend se répète sans saveur et sans valeur ajoutée. Il y a comme l'impression d'être enfermé dans une idée arrêtée, il manque assurément quelque chose à ce morceau, il faudrait que les basses soient plus saturées, que les kicks soient encore plus sales et lourds, histoire de donnée une entrée en matière efficace, éclatante, un peu comme l'excellent On Sight de Yeezus, par exemple.
Et ce qui est dommage, c'est que tout l'album est en demi-teinte comme ça. L'utilisation d'un son sale et agressif est une bonne idée, d'autant que, comme à son habitude, Tyler nous propose un équilibre confortable entre boucles sombres et hypnotiques, et mélodies plus légères et aériennes. PILOT exprime bien ce qu'aurait pu représenter la complétude de ce mélange s'il était ici effectué moins à l'arrache. Les parties lourdes et saturées, là encore, ne sonnent pas assez "dégueulasses", en quelque sorte, alors que les parties plus lumineuses et funky sont passées à la moulinette du noisecore de la même façon que tout le reste. C'est vraiment pas très fin de composer comme ça, ni subtil, parce que là encore on avait un morceau qui avait du potentiel, qui est pas si mal foutu, et qui sonne comme une version démo pas achevée, pas masterisée, un simple test en somme.
Le pire, c'est qu'avec la track FIND YOUR WINGS qui est bien plus harmonieuse et maîtrisée, et constitue ainsi une vive opposition avec tout le début d'album, le jeune excentrique nous prouve qu'il avait les cartes en main pour bien mieux gérer cet équilibre ! Après, on a bien les tracks BLOW MY LOAD et 2SEATER qui reposent après le super violent CHERRY BOMB, mais comment dire... elles sonnent hors du propos, l'album atteint le paroxysme de sa violence, et juste après redevient plus calme, presque mou, comme s'il oubliait son concept. Ou comme s'il n'avait pas de concept du tout, ce qui est tout aussi appauvrissant pour sa considération. En fin d'album, FUCKING YOUNG, SMUCKERS et OKAGA font aussi partie de ces morceaux "moins mauvais", mais leur nature plus posée et chillesque soulève des questions déchirantes :
- Où est passée la présupposée violence énergétique du début d'album ??
- Pourquoi y a t-il toujours de la saturation dans OKAGA alors que ça n'a terriblement rien à voir avec la vibe du morceau ?
- Pourquoi avoir tenté de faire du sale quand on aurait pu faire 1000 fois mieux en faisant du Tyler habituel ?
En fait, CHERRY BOMB est le seul exemple de track où la saturation dans l'album est portée assez loin pour assumer le choix de violence dont témoignent les premières tracks de l'album... seul souci, c'est probablement un des pires morceaux au niveau de la composition et de l'écriture. Il y a plein d'idées fascinantes, mais elles sont lancées en vrac, formant un brouillon sonore qui certes suscite la curiosité, et mérite d'être écouté... mais pas forcément d'être retenu.
Mais ce n'est pas vraiment ça qui est si décevant dans cet album, finalement. Non vraiment, parce qu'elle est un amas de tentatives artistiques brouillonnes et éparpillées, l'oeuvre a un certain intérêt, voire un certain charme, et représente une volonté de la part de Tyler de tester les excentricités de son style dans leurs extrêmes. Le vrai problème, c'est que cette volonté reste au stade de volonté, et que son application est encore trop dans l'entre-deux pour transcender les foules.
(Entre nous, le vrai autre problème ce sont les pièces comme BUFFALO ou RUN, tellement pauvres et superficielles qu'elles font passer tout le reste de l'album pour un chef d'oeuvre musical. Dans le même genre, en fin d'album, on a THE BROWNSTAINS avec Schoolboy Q qui est super ennuyeuse et laborieuse aussi, et pue juste le manque d'inspiration. Mais je suis peut-être en train de devenir un peu trop subjectif ici ?)
Le dernier problème enfin, qui est directement lié à ce que je viens de dire, c'est que les bons morceaux ne sont globalement pas assez réussis pour être réécoutés des myriades de fois, et que les mauvais morceaux sont vraiment, vraiment mauvais.
Pour le manque de pertinence des bons morceaux, je pense que SMUCKERS constitue un bon exemple. Kanye West qui rappe sur le bordel ambiant du fond sonore, avec sa voix stridente et ses talents de MC approximatifs, j'ai trouvé ça kiffant, quelque part, juste amusant. On dirait un peu une parodie de The Life of Pablo, à l'entendre gueuler des conneries sur une instru funky frénétique. Après, c'est pas forcément un morceau moins bien foutu que ceux qu'on trouve dans TLOP qui est un beau bordel aussi, mais c'est moins bien assumé et mis en avant par la structure de l'album, et c'est regrettable. Mais bon, Kanye c'est un putain de meme, et l'avoir invité dans un album bordélique c'est très bien vu.
+1 sur ce coup-là
Finalement Cherry Bomb c'est quand même pas mal médiocre, mais c'est le genre d'album médiocre que j'aime bien. Je l'écouterais pas tous les jours (Dieu soit loué), mais j'aime bien le fait qu'il existe. Parce que c'est un processus de création rentre dedans, honnête et maladroit. Parce que ça donne envie de devenir le producteur de Tyler et de lui dire qu'il est en train de faire de la grosse merde. Et ce genre d'album, je veux pas dire, mais ça forge. On peut lui trouver des qualités et des défauts à tour de bras, et c'est super intéressant. On peut même tenter, comme moi, une critique au feeling dessus, parce que ça part tellement en couilles au niveau de la composition que seul le feeling peut juger... et après tout, ma critique qui est confuse et brouillonne est peut-être pertinente à ce niveau-là (Dieu pourra en juger). A l'avenir, le mieux serait que Tyler se range sur une ligne de production un peu moins confuse, mais honnêtement, s'il nous ressort de la bouillie aussi curieuse, c'est toujours ça.
Mais Wolf c'était quand même mieux hein.