Ombre est lumière

2021:
Un virus menace d'éradiquer le monde du rap, il se propage de façon spectaculaire sur les ondes et la population est surexposée, à tel point que les masques sont devenus conducteurs au lieu d'être protecteurs. Ce virus, vous l'avez bien compris c'est la drill.
Face à ce fléau il ne reste plus qu'un espoir pour sauver le rap du gouffre dans lequel il tombe petit à petit, Raelsan doit revenir et plus fort que jamais...

Le décor est planté, cette année n'a été pour moi que déceptions sur déceptions au niveau du rap français, à part bien sûr quelques exceptions mais pas suffisamment pour prétendre à une belle année. Il me fallait au moins un album d'Orelsan pour relever le niveau.
J'attendais avec impatience un premier single, quelque chose à se mettre sous la dent avant la sortie de l'album, parce que même si son concept de 15 CD différents est très cool et un excellent coup de marketing, je n'achète jamais d'albums sans avoir écouté (encore plus après JVLIVS II, RIP ceux qui ont pré-commandé les deux versions).
L'odeur de l'essence est un excellent premier single, il met le feu directement, il fait réagir et beaucoup parler de lui, parce que oui c'est le retour d'Orel et il n'est pas venu pour blaguer. Ça parle donc, en bien comme en mal, on adhère ou on adhère pas mais personnellement je suis obligé d'adhérer ne serait-ce qu'à cette prod venue des enfers que Skread nous a concoctée. Aurélien lui est en grande forme, il se déchaîne avec grand flow et crache sur notre société, alors oui parfois c'est cliché, ça peut être moralisateur comme niais, mais son message me fait du bien. Qui prétend faire du rap sans prendre position ? Le rap a toujours été engagé et même si cela se perd de plus en plus, je trouve que cela fait du bien, de revenir à l'essence même du rap. L'enchaînement Manifeste / L'odeur de l'essence est des plus logiques, mais le caennais a toujours su comment construire ses albums et celui ci ne fait pas exception.

Après la découverte du single je me suis dit que je ne voulais pas que tout l'album tourne sur le même thème, je souhaitais un album diversifié, avec un Orel qui se livre plus que jamais. Il faut croire que mes prières ont été entendues, car le rappeur nous offre son album le plus diversifié (je pense), avec le plus de prises de risque également. Il quitte sa zone de confort, Aurélien est plus touchant que jamais. J'adore tous les thèmes abordés dans l'album, que ce soit l'amour, la société, la nostalgie, le futur, etc, il retranscrit avec simplicité tout en faisant mouche, ça a toujours été ce que je préfère chez lui. Les morceaux où il se livre sans détour me parlent bien plus que le reste, même si je ne suis jamais contre un bon rap kické façon Jimmy punchline.

C'est peut-être la seule chose que j'ai à reprocher à l'album, l'absence de morceaux avec de grosses punchlines, j'en ai pas noté beaucoup, en fait je n'en ai même pas en tête. Elles ont été remplacées par de belles phrases touchantes et marquantes.
En fin de compte on en trouve des punchs, dans le morceau qui est hors sujet à l'album, Casseurs Flowters Infinity, alors oui je l'aime bien ce morceau je l'ai replay direct à la première écoute, mais pour quoi ? Parce que c'est un bon délire, parce que c'est le retour des CF (big up aux débiles légers), parce que Orelsan et Gringe quand ils sont ensemble tout va bien, ça donne le sourire et fait rêver d'un nouvel album entre eux, tellement les deux compères fusionnent au micro. Mais bon, on pourrait aisément se passer de ce morceau dans Civilisation.

C'est fou comme je suis prévisible, le jour de la sortie de l'album j'ai crié sur tous les toits que Bébéboa était le pire morceau dans toute la carrière d'Orelsan, que je ne voulais même pas l'écouter une deuxième fois, bref j'en ai fait des caisses et mes potes m'ont dit que je disais la même chose pour plein de morceaux, plein d'albums, etc... Et ils avaient raison, en plus je le sais mais, apprivoiser un bébé boa n'est pas toujours chose aisée, comme pour chaque morceau on ne peut pas avoir le coup de cœur instantanément il faut plusieurs écoutes pour apprendre à apprécier, même si on n'aime pas les paroles il y a toujours quelque chose sur lequel se raccrocher dans l'album, ici la prod et le flow inédit d'Aurel font très bien le taf.

Je ne vais pas revenir sur chaque morceau sinon cette critique va être interminable, je dirais simplement que Civilisation est un de ses meilleurs morceaux all time, incroyable de bout en bout, texte superbe, interprétation géniale qui va crescendo et prod toujours aussi juste.
D'ailleurs il faut glisser un mot sur Skread, si avant je ne faisais pas forcément attention aux producteurs dans les albums de rap, me rattachant essentiellement aux paroles, il faut bien admettre que les deux sont très importants, surtout de nos jours où les bons lyricistes ne courent pas les rues. Si Raelsan mérite une couronne pour son album, il devra la partager avec Skread, faisant ainsi deux rois pour un royaume (les gens vont être trop blasés). Mais oui, Skread a délivré des prods toutes plus incroyables les unes que les autres, ses meilleures performances donnent les meilleures d'Orel: Du propre, Seul avec du monde autour, L'odeur de l'essence, Baise le monde, l'incroyable Ensemble... Les prods très actuelles donnent un coup de vieux aux anciens projets du rappeur caennais, sans pour autant dénigrer sa discographie.
En tout cas Orelsan et Skread forment une machine qui ne cesse de distiller de bons morceaux.

J'ai aimé que Orel se livre à fond sur cet album, on sent qu'il prend de l'âge et qu'il dit moins de conneries qu'avant, il prend conscience des choses importantes dans la vie et nous le fait savoir. Les nombreux morceaux où il parle de sa femme sont très bons car très vrais. C'est touchant de voir son amour, lui qui n'était pas du style à se dévoiler à ce sujet avant, excepté avec Paradis. On découvre de nouvelles facettes, comme son envie de devenir père, très prononcée tout au long de l'album. D'ailleurs j'ai ma théorie comme quoi Bébéboa est juste un morceau où il demande à sa copine d'arrêter de boire pour qu'ils aient un bébé rapidement, avec en plus le mot bébé répété je ne sais combien de fois...
J'ai aussi bien apprécié Baise le monde, un son qui dénonce de façon ironique et détourné, le tout sur une instru géniale et entraînante, le concept m'a beaucoup plu. Les morceaux comme La quête et Seul avec du monde autour m'ont beaucoup parlé, j'ai vraiment aimé la nostalgie et les bons souvenirs qui s'en dégagent.
Même s'il y a des morceaux qui me parlent moins dans l'album, je pense à Rêve mieux et Jour meilleur, les paroles et la prod ne m'ont pas transporté mais ils ne sont pas foncièrement mauvais. Dans l'ensemble l'album est une réussite et les 3/4 des morceaux sont excellents.

Bref, je n'ai pas fini d'apprécier cet album je pense qu'il va bien tourné ces prochains mois, il va sûrement encore gagner en émotion avec le temps. Donc un grand merci Orel et Skread pour ce qui est sûrement l'album de l'année pour moi. J'en avais vraiment besoin.

Tout s'transforme, rien n'se perd
J'ai pas fait qu'des choses dont j'suis fier, j'peux devenir meilleur, j'peux pas revenir en arrière
J'étais tout seul, on est des milliers, bientôt, vous allez tous m'oublier
Désolé mais j'vais devoir vous quitter, dis-toi seulement qu'on a kiffé
Hier, c'était hier, aujourd'hui, j'efface les dettes, hein
J'échangerai pas c'que j'ai contre la jeunesse éternelle, hein
On a fait c'qu'on a fait comme on l'a fait mais on l'a fait, hein
Tout s'transforme rien n'se perd, ombre et lumière