Je ne suis pas fin mélomane, critique rap, musicologue ou expert son. Je ne vais pas donner là un avis objectif sur le 4e album d'un type de 39 ans que j'entends dépassé, rebooté, autoplagié en somme. J'ignore le plan de carrière du normand Orelsan depuis ses premiers hits, premiers feat ou premiers tips qui lui donneront ce qui serait sa marque de fabrique.
Est-il drôle ou sérieux, triste ou rageux, fun ou mielleux... Vous en jugerez si ça vous chante.
Ce qui me frappe moi c'est son soucis de cohérence dans un univers qu'il développe conflictuel.
L'album commence en appelant à l'innocence du héros de Shonen qui ne demande qu'à remplir des scènes, devenir challenger. Pas faire de politique, pas vivre seul et triste. Au début du parcours, il n'y a qu'une innocente Quête de gloire, peut-être la gloire de dire un jour qu'on comprend le monde et qu'on est vraiment devenu adulte. L'important est peut-être alors, à ce propos, de continuer d'apprendre et non de forcément trouver l'arrivée.
L'album enchaîne alors sur Du propre, et la fameuse quête se prend les pieds dans le tapis de l'ivresse, non sans humour. Mais Bébéboa est plus cynique, plus amer, car c'est l'objet du désir lui-même qui devient ivre. Il renvoie le héros à sa connerie, dévoile le dégoût qu'il a de lui-même.
"T'as jamais eu aucun goût, c'est pas l'COVID" : Rêve mieux attaque frontalement cette futilité de la gloire du Shonen, du jeune ado qui ne peut finir que dans l'alcoolisme ou la dépendance plus généralement, comme Amy, comme Britney. "Mieux que l'argent, mieux que le pouvoir, mieux qu'les deux", le morceau donne une injonction nette au bonheur.
Dans Seul avec du monde autour, le bonheur est obtenu et sanctuarisé, même si pour l'instant il n'est que dans une bulle, motivé par un besoin d'être au calme "pour travailler". Depuis Caen, l'ivresse des foules est loin et ce temps de répit permet au héros de ne retourner à Paris qu'avec une vision plus claire, quintessence de l'album, son Manifeste presque slamé, qui raconte avec réalisme un engrenage infernal au coeur de la foule.
L'odeur de l'essence donne une hauteur de vue à la manifestation sanglante qui vient d'être racontée. Les problèmes de société s'y percutent sans se résoudre, l'essence monte à la tête, il n'y a plus que brûlures, colère, et finalement un crash fatal qui éteint tout. Le constat de la mort, à partir duquel l'album et notre héros reprennent leur calme : "Le problème de la vie, c'est qu'y'en a qu'une".
Jour meilleur appelle à relativiser la colère et le constat dépressif qui viennent d'être donnés : "Quand t'as l'désert à traverser, y a rien à faire sauf d'avancer". Ecoute, soutient, positivité, rires sont comme les clés qui permettent à la quête de se poursuivre malgré tout.
Mais avec un tel flot d'Amour, on peut finir par Baiser le monde entier. Nouvel épisode d'ivresse dansante, le héros s'obstine ici à des prises de conscience alors qu'il pourrait de nouveau tomber tout simplement dans l'innocence. Quelque chose à changé et en fin de morceau, "Ça valait pas la peine" de faire cette soirée. Mais alors quel sens lui donner ?
Casseur Flowter Infinity apparaît à ce moment de l'album comme une parenthèse amicale où l'absurde trouve un délire fraternel, nostalgique et bienveillant à la fois. Mais aussitôt après, l'ivresse reprend une dernière fois son rythme avec Dernier verre et la tentation de la tromperie, d'autant plus sournoise qu'elle est amenée en douceur. C'est finalement sur le plan des relations intimes que tout semble se jouer pour trouver un sens à sa vie.
Ensemble est comme la conclusion de la dispute qui pourrait avoir suivi la nuit du dernier verre. Aveux de faiblesse, reconnaissance des erreurs, demande de pardon... en conclusion, tout s'écroule si l'âme soeur est perdue. Et celle-ci peut s'entendre comme le respect de soi, des valeurs que l'on porte. In extremis, même fragile comme une feuille qui tombera au printemps, le héros tient à son âme soeur, même imparfaite. Athéna, brillante gardienne de son être aimé, confirme le rôle de phare que joue pour lui cette personne. Quant à la déesse de la cité, elle permet de poser des voeux à l'échelle du reste de la Civilisation, conclusion de l'album éponyme.
"J'sais pas comment sauver le monde, et si j'l'savais j'suis pas sûr qu'j'le ferais" : Orelsan, qu'on pouvait encore voir au début de l'album comme le challenger désabusé à l'humour cynique, pose en conclusion-panique le constat d'une morale cassée. Il appelle clairement à l'aide face à une société en chute libre, conscient plus que jamais de la nécessité d'être ensemble : "Soyons d'accord de ne pas toujours l'être" n'est qu'une reprise des Lumières et un sursaut moral loin d'être naïf, porté par la conscience de l'urgence.
De nouveau, cette critique n'est pas objective : je suis juste porté par une conscience qui entre en écho avec cet album Je suis peut-être même naïf, allons : on n'arrête pas de grandir, encore un point qu'il y aurait en partage avec le message que porte Orelsan.