1994, la Mano brûle. Un voyage colombien dans un train à 25 à l'heure, la dope bon marché (quel hasard) et le spectre de la mort d'Helno, chanteur des Négresses Vertes, auront tâché de dissoudre le plus mainstream et génial des groupes de rock alternatif français. "Mala Vida", "Pas Assez De Toi", "Out Of Time Man", semées au vent du temps, et toujours là aujourd'hui.
L'ex-leader de la Mano Negra, Oscar Tramor (ou Manu Chao pour les profanes) déprime. Tous ses potes ont quitté le bateau, et lui n'arrive pas à se poser. Ce voyage sud-américain l'a marqué, séduit, et il parcourt le monde depuis. Manu traverse des villes et des pays, et y découvre de nouveaux amis.
A chaque étape, il enregistre un peu, essayant de capter l'humeur locale, pour créer un univers sonore, histoire de se souvenir de l'ambiance. Mais rien ne le pousse à publier, c'est pour lui comme un carnet de route.
Arrive Rio De Janeiro, Brésil, nouvelle halte dans le never ending trip de Manu. Il y découvre la techno hardcore, aux antipodes de son style à lui, mais qui cependant le passionne, à tel point qu'il décide d'en faire un disque, le dernier de sa carrière. Il prend ses enregistrements de voyage, et y insère cette techno, malgré le fait que ses amis et sa famille le lui déconseille. Têtu comme une mule, il fonce.
Mais le hasard fait bien les choses parfois. Durant la production de l'album, un bug informatique fait disparaître la majorité des effets techno, et la musique qu'il révèle se trouve être totalement inédite et originale, mais surtout formidable. Renaud Létang, ingé son français reconnu, est appelé à la rescousse. Il prépare le disque pour une sortie imminente.
Ce disque c'est Clandestino.
Manu Chao n'a aucune ambition commerciale, il dit l'avoir enregistré comme une "thérapie personnelle", comme un baroud d'honneur, une manière d'extérioriser et d'en finir avec la musique. Il ne prend tellement pas au sérieux son travail qu'il annonce à des amis, quelques jours avant la sortie de Clandestino que ce n'est qu'une maquette. Quelle surprise il a dû avoir ...
En effet, Clandestino, sorti en avril 1998, est un carton plein, et c'est peu dire. On parle d'un succès total, international, commercial et critique, qui redonne un nouveau souffle à la carrière de l'ex-Main Noire.
C'est une parfaite fusion de rock, de reggae, de rumba, de musique latine traditionnelle et de rythmes brésiliens, tout cela formant un tout musical, entrecoupé de petits passages radiophoniques, accentuant le côté "fait main" et artisanal de Clandestino.
Les 45 minutes du disque sont à écouter d'une traite, car toutes les pistes sont reliées. On se sent dans la peau d'un voyageur perdu, fatigué mais avide d'aventures et de nouvelles sensations, mais également nostalgique et mélancolique dans l'air gorgé de soleil d'Amérique du Sud. C'est magnifique, rien à dire de plus, c'est sans doute un des meilleurs albums jamais enregistrés de l'Histoire. Ce disque est incroyable, en rupture totale avec son précédent univers. Manu Chao surprend, agréablement.
Il offre des classiques, dont "Bongo Bong/ Je Ne T'Aime Plus", reprise ré-arrangé d'une chanson de la Main Noire (Manu s'en fout, en tant que parolier de son ancienne formation, toutes pratiquement sont de lui), mais aussi la chanson titre, "Mentira", "Mama Call", "Malegria" et toutes les autres au fond.
Superbe Clandestino aura remis Manu perdu sur la voie. Il pose ses valises longuement trimballées à Barcelone où il réside toujours, répète avec son nouveau groupe Radio Bemba, et élabore la suite.
Oui, le voyage n'est pas fini, pour notre plus grand plaisir :).