Attention. Si vous cherchez un avis objectif, cette critique qui ne fait que l'éloge de l'album n'en fait pas partie.
Il y a des albums qui ne nous ramènent pas intacts. De la musique dont on ne comprend pas la structure, et vers laquelle on est pourtant amené à se porter, comme un aimant. Et, quand on parvient enfin à en comprendre une sorte de sens, si jamais elle en a un, on serait presque paré à ce qu'elle soit la bande-son d'une période que l'on a perdu de vue, à défaut d'être celle qui nous accompagne durant une bonne partie de notre vie. C'est un peu du mélodramatique, ce que j'écris là, mais c'est en tout cas ce que je ressens de Close to the Edge. J'ai dû probablement m'y prendre deux à trois fois pour m'y adapter. Quand, à ce moment là, on n'a rien écouté d'autre que Pink Floyd et les premiers albums du groupe, on n'est pas prêt pour une telle débauche de technique et d'émotions. Même à la fin de la première écoute, je ne savais pas qu'en penser, tant j'avais l'impression que la technique enveloppait l'émotion, le feel. Et puis, à la seconde écoute, c'est comme si une porte s'était ouverte, avait ouvert mon esprit au synthé éthéré de Wakeman, à la voix haute d'Anderson, à la basse mélodique de Squire. Je ne sais même pas, encore aujourd'hui, si j'aime cet album à proprement parler, mais c'est comme si ça me parlait directement, au fond des tripes, d'une manière que peu d'albums ont pu le faire.
Le titre principal n'a même plus à être mis sur un piédestal. Il est juste là, et si la première écoute rend compte des fabuleuses escapades techniques et mélodiques des membres du groupe, la seconde montre le fond de cette suite, son aspect durablement spirituel, inspiré du Siddharta d'Herrmann Hesse. Mais, honnêtement, les paroles auraient pu être virées et le résultat était le même ; les paroles n'ont d'objectif que de bien sonner, quitte à ne rien vouloir dire (à moins d'être un professeur de littérature sacrément bon), et ce sont les instruments, plus encore peut-être que la voix d'Anderson, qui portent l'histoire. Pas un grand problème pour moi ; aussi longtemps qu'Anderson avait avoué que certaines de ses lignes ne servaient qu'à la rime, le contrat n'était pas rompu, je ne m'estimais pas lésé.
Après cette cure de spiritualité musicale longue de 18 minutes, la Face B n'est moins bonne qu'un demi-poil. Et encore. And You and I n'est peut-être pas aussi sophistiquée que la chanson titre, mais elle porte aussi un gros message d'espoir et d'amour qui nous ferait oublier ses paroles, soit déconnectées, soit assez cheesy (Sérieusement : all complete in the sight of seeds of life with you. Oui, c'est beau, c'est spirituel, mais c'est une circonvolution un peu lourde). Et, même si Siberian Khatru est le "maillon faible" des trois titres, ça ne veut rien dire au vu de la qualité exceptionnelle de l'album. Mention spéciale, sur le titre, d'une part à Steve Howe (que je n'ai pas encore cité jusque là, comme ai-je pu ?) et à Chris Squire, parce que ... Mais écoutez ces lignes de basse, bordel ! Petit bémol cependant : Yes aurait dû terminer ce titre comme ils le faisaient en live : en construisant une tension avec le solo de guitare de Howe, tension qui se brise brusquement. ça vaut bien mieux qu'un bon vieux fade-out de la mort avec un solo qu'on aimerait entendre jusqu'à la fin s'il vous plaît.
Je dois bien des choses à cet album. Déjà, d'être un peu plus heureux dans ma vie,et ensuite de me découvrir une nouvelle passion dans la guitare basse (merci à toi, Chris Squire, où que tu sois maintenant). Il y a eu d'autres albums qui sont venus ensuite, enrichir ma culture musicale et ouvrir mon esprit : Crescent,Selling England by the Pound,Discipline, et bien d'autres. Mais, avec Close to the Edge, il y a une sorte d'adoration hétéroclite qui ne peut pas se partager. Avant tout c'est peut-être ça, la musique : parler à l'âme, nourrir l'esprit, colorer le Monde.