Le retour à des sonorités des années 1970 et disco s’est installé au tournant des décennies 2010-2020 comme une grande tendance pour la scène Pop française. L’une des artistes notoires de cette mode rétro est Clara Luciani, jeune auteure compositrice et interprète provençale qui assume son penchant pour les œuvres et l’esprit de cette époque du siècle dernier. Cela se ressent dans son écriture et sa musique, d’abord dans son mélancolique EP Monstre d’amour en 2017 puis son premier album Sainte-Victoire en 2018. Salué par la critique et certifié triple disque de Platine depuis, cet album fut notamment porté par le succès du single « La grenade » suivi de rééditions dont les inédits misaient plus sur des rythmes dansants.
Cette orientation musicale se poursuit sur le deuxième album de la chanteuse, Cœur, publié le 11 juin 2021. Ce revival disco-70’s correspond à une sorte de sas de décompression dans une période autant perturbée pour Clara Luciani (qui venait de perdre son grand-père) que pour ses auditeurs – les confinements/déconfinements successifs, quelle époque ! Les traits disco-70’s sont donc accentués, et ce dès la pochette un tantinet kitch avec cette calligraphie, ce look et cette façon de mettre en valeur l’artiste sans fioriture autour. Et l’on se trouve rapidement plongé dans cette ambiance rétro avec la chanson d’ouverture…
Portant le même nom que l’album, « Cœur » est intitulée adéquatement puisqu’elle débute par le son de battements d’un cœur auquel s’ajoutent les voix d’un chœur – ça se prononce pareil okay ! Un peu comme son précédent tube féministe « La grenade », l’efficace « Cœur » réussit le pari d’aborder le douloureux sujet des violences conjugales tout en nous faisant nous trémousser. De son côté, le lead-single « Le reste » parle d’une rupture amoureuse mais les bons souvenirs de la relation finie priment sur l’amertume de la séparation. Un joli succès au printemps 2021 pour annoncer l’album qui viendra peu après, et également un clip chaleureux reprenant l’esthétique de Jacques Demy dont le film Les Demoiselles de Rochefort reste un must pour Clara.
Les paroles de la troisième piste, la sémillante « Le chanteur », sont à nouveau douces-amères puisque Clara décrit une fan rêvant d’épouser un chanteur mais déclare que la liberté et le métier de ce dernier compliquent ce dessein idyllique. Sur une mélodie rappelant Michel Berger, l’artiste en profite pour faire un clin-d’œil à sa relation avec Alex Kapranos, chanteur du groupe rock écossais Franz Ferdinand avec lequel elle se mariera (pourtant!) en 2023. On entre ensuite dans le romantisme de « Tout le monde (sauf toi) » qui est une déclaration d’amour fondante comme de la guimauve. Mais pas le temps de se ramollir car « Respire encore » nous réveille et nous invite à la danse. Un second single au rythme imparable et très scénique, accompagné par un clip incitant à profiter de la vie – ça sent le déconfinement non ?
Revenant sur le thème de l’amour davantage passionnel, « Amour toujours » rappelle qu’une relation amoureuse fusionnelle peut se révéler être un cadeau empoisonné voire destructeur (« Qui des deux va dévorer l’autre le premier ? » dit le refrain). À noter la présence de l’actrice espagnole Rossy de Palma dans le clip façon jeu télévisé. Puis les rythmes enjoués disparaissent pour la simplicité de « J’sais pas plaire » où la chanteuse s’accompagne uniquement de sa guitare donnant à la chanson un air plus triste, justifié par ses paroles. Cette ambiance mélancolique se poursuit avec « Sad and slow », duo tout en simplicité partagé avec Julien Doré.
Les lignes de basses, chœurs et mélodies Pop de la première moitié de l’album font leur retour sur la neuvième piste, « La place », dans laquelle Clara exprime le plaisir empreint de nostalgie ressenti lorsqu’elle retrouve l’endroit où elle a grandit. Le rythme s’accélère davantage sur « Bandit », à l’image des palpitations de son cœur qui s’emballe puisque la chanteuse raconte qu’elle tombe amoureuse. Plus lente, « Au revoir » clôt l’album aussi bien que s’il s’agissait d’un concert (« Au revoir, je disparais en héros de mon propre show »).
La réédition de novembre 2022 Cœur encore ajoute à ces onze pistes quatre nouvelles qui sont des adaptations de standards des années disco : « Dansons tant qu’on est vivants » (reprise du tube « Celebration » de Kool and the Gang), « C’est l’amour » (reprise de « I feel love » de Donna Summer), « Mes amis et moi » (reprise de « We are family » de Sister Sledge), et « Bravo tu as gagné » (reprise de la chanson de Mireille Mathieu adaptant en français « The winner takes it all » du groupe ABBA). Adapter en français des tubes anglophones était monnaie courante dans les décennies 1960 et 70, mais le faire plus de 40 ans plus tard provoque un drôle d’effet…
Si l’on tient compte uniquement de la version originelle des onze pistes, l’album Cœur n’est pas plus orienté vers le disco que vers la variété française des années 1970. Clara Luciani propose des créations originales tout en s’inspirant du style d’artistes tels que Michel Berger ou Françoise Hardy mais avec un ton moderne. Les singles choisis sont ceux ayant les sonorités les plus dansantes, faisant regretter aux fans de la première heure la mélancolie des premiers projets de Clara mais plaisant davantage aux médias et au grand public – moi y-compris. C’est ainsi que Cœur fut, comme Sainte-Victoire avant lui, salué par la critique et certifié triple disque de Platine pour plus de 300 mille copies écoulées. Les deux premiers singles « Le reste » et « Respire encore » seront quant à eux certifiés disques de Diamant ! De quoi permettre à Clara Luciani de s’encrer plus encore dans notre paysage musical et dans le "cœur" des Français.
C’est un album qui nous fait ressentir les émotions de la vie : l’amour, la désillusion, la mélancolie, la joie de danser… un vrai cœur en somme. La plume de Clara est toujours aussi réfléchie et sa voix chaude aussi agréable à l’écoute, du régal pour qui apprécie la variété (Pop) française. Personnellement, j’aurais sans doute préféré une répartition des pistes différente pour éviter d’avoir une seconde moitié "plus faible". D’ailleurs, bien que je les trouve toutes les onze intéressantes, les chansons de l’album que j’aime le plus se trouvent dans la première moitié : « Cœur », « Le reste », « Le chanteur » (dont j’aime beaucoup la musique, notamment les envolées du piano) et surtout « Respire encore » qui est certainement ma chanson préférée de l’année 2021, pour vous dire !