Que les fans de Chance se rassurent : le jeune prodige de Chicago sera bel et bien dans les rotations musicales estivales de tout bon amateur de rap qui se respecte - et même des autres.
Pour ceux qui anticipaient une suite légitime à l'incroyable Acid Rap, l'attente risque de se prolonger encore un moment.
Dès la lecture de la tracklist, on doit se rendre à l'évidence : Action Bronson, Ab-Soul et Childish Gambino ont laissé la place à Lil Wayne, 2 Chainz, Future, T-Pain et...Justin Bieber. Visiblement les producteurs de Chance ne sont pas du même avis que ceux qui pensaient que l'expérience de cette dernière association avait été peu concluante, pour ne pas dire pire. Passons.
Effectivement, dès les premières notes d'intro, les magistraux "All We Got" et "No Problem" (à mon grand dam) font bien saliver. On se replonge avec délectation dans l'univers singulier de Chance et de sa voix atypique, entre punchlines bien senties, gimmicks euphorisants, rythmes funky et mélodies psychédéliques. Malheureusement, après quelques expérimentations (la spécialité du chef) intéressantes mais un peu faiblardes, on se rend vite compte que le côté de loufoque de l'artiste s'efface peu à peu au profit de collaborations douteuses (encore une fois, Justin Bieber me donne de l'urticaire). Heureusement, de ce point de vue, l'audacieux "Mixtape" vient relever le niveau vers le milieu de ladite mixtape, même pour ceux qui ne sont pas forcément friands des jérémiades incessantes de Young Thug. Même chose pour "Smoke Break", pari réussi malgré le robotisme légèrement malvenu de Future.
Du côté vraiment positif, "Angels" renoue avec ce que Chance fait de mieux : mélodies osées, cuivres entraînants, variations de voix et de flow à n'en plus finir. "Blessings" (reprise) est réellement une outro magnifique qui vient confirmer le fait que le début et la fin des projets artistiques sont vraiment les points forts de Chance.
Malheureusement, le milieu laisse un peu à désirer. "All Night" arbore un côté FM sympa, assumé et remixé à la sauce Chicago, qui peut toutefois vite devenir lassant. "How Great" ravira les amateurs de gospel mais passera souvent par la case "skip" pour les autres. "Finish Line / Drown" fait office de pré-final parfait pour une tape de Chance, mais semble manquer de cohérence du point de vue artistique (que vient faire T-Pain là-dedans ?).
Alors oui, ce projet est audacieux, original, élaboré. On en attendait pas moins de la part de Chance. Le vrai tour de force est d'avoir réussi à conserver l'identité du rappeur malgré l'avalanche de featurings. Le petit manque, c'est qu'il est indéniable que cette identité commence à se fondre dans un côté mainstream qui peut rebuter les fans de la première heure. Force est de constater que le côté génial et impertinent d'Acid Rap fait défaut sur la plupart des chansons. D'un côté, on pouvait s'en douter après le succès considérable de cette mixtape qui a directement propulsé Chance au rang de superstar du nouveau rap indépendant. Avec "Coloring Book", le chicagoan vient confirmer cette tendance : essai confirmé, donc, pour son entrée dans le monde mainstream sans toutefois renoncer à son authenticité. Après plusieurs écoutes, on ne peut toutefois pas s'empêcher de se demander si Chance parviendra à "acidifier" le rap actuel ou si c'est le non-genre "acid rap" (dont il est presque l'unique représentant) qui va se "mainstreamiser".
En définitive, ce questionnement est révélateur de l'immensité des attentes qui se concentrent autour de ce quasi-messie du rap (et, au-delà, de la musique "noire" contemporaine). "Coloring Book" est une bonne mixtape. On n'est cependant exigeant qu'avec les plus talentueux. Le cahier de coloriages de notre ami restera incontestablement dans les annales comme l'un des plus chatoyants et bariolés de cette année. De là à l'élever au même rang qu'Acid Rap, indiscutable projet de l'année en son temps, le débat reste ouvert.