Plus de quinze ans après l'immense "2001", Dr. Dre revient à la fois sur les écrans et les playlists pour le plus grand bonheur des fans de hip-hop. Chronic d'une sortie par une porte en or massif.
Des années que le monde du hip-hop attendait ce moment. La sortie annoncée, puis systématiquement reculée, de Detox, l'album d'adieu, le joyau tant espéré, n'aura finalement jamais lieu. Le Doc l'a juré : après Compton, on ne l'y reprendra plus. Terminés, les productions complexes et iconiques sur lesquelles le maître en la matière se permettait de poser son flow qui, a défaut d'être légendaire, était bougrement efficace. S'il n'a aucun désir de rentrer en désintoxication, Dre brûle d'envie de renouer avec sa ville, Compton.
Et sans surprises, c'est un Compton incisif et brut qui est présenté. L'Intro pose les bases du discours qui sera latent tout au long de l'opus : ce qui ressemblait au cliché de l'American Dream s'est peu à peu assombri faute d'un racisme endémique, au point que l'image de carte postale devienne l'une des villes plus violentes du pays. C'est sur ces fondations qu'apparaîtront NWA et son incontournable beatmaker, Dr Dre, plus enragés que désabusés.
Mais le Doc a parcouru un long chemin depuis ces débuts. Devenu il y a peu le rappeur le plus riche de la planète, il n'hésite pas à le clamer dans Talk About It ou à faire entendre le son d'un amas de pièces de monnaie qui s'entrechoquent dans All In A Day's Work. Mais ces manifestations d'egotrip - pondérées par son instance à répéter qu'il a longuement travaillé pour ce destin, ne l'empêchent pas d'avertir une nouvelle fois sur la situation alarmante dans laquelle se trouvent les "ghettos" noirs des États-Unis. Dans un contexte plus que tendu depuis la multiplication d'assassinats d'habitants noirs par des policiers blancs, le rappeur ne se prive pas d'évoquer une tentative d'épuration, notamment sur Genocide, l'un des meilleurs morceaux de l'album, en collaboration avec le non moins grand Kendrick Lamar.
Pour ses adieux en solo, le Docteur a su s'entourer. Peut-être un peu trop. Si l'on savoure les retrouvailles avec Ice Cube, Xzibit et Snoop Dog, la résurrection d'Eminem sur Medicine Man ou encore les collaborations avec Lamar, Asia Bryant et Anderson .Paak, on peut regretter de ne pas assez entendre le principal protagoniste. Certes, il n'a plus sa verve d'antan, ni l'énergie pour rythmer seul un album du début à la fin. Mais tout cela laisse l'impression que ce projet est avant tout l'oeuvre d'un collectif, le tout coordonné par Dre.
Ce dernier album, bien que très bon, ne ravira pas tous les fans de la première heure. La première écoute laisse entr'apercevoir un manque de panache, de folie, voire de cohérence. Et c'est là que le biopic Straight Outta Compton joue un rôle majeur, permettant une symbiose quasi-parfaite entre les sons et les images. Avec Compton, l'expérience vécue pendant le visionnage du film est décuplée, ce qui en fait une grande force, mais également une faiblesse.
Surtout, le support filmique permet de comprendre à qui Dre a véritablement souhaité dédier sa sortie de scène. En effet, Eazy-E n'aura jamais semblé aussi présent que dans ce projet, où des mentions lui sont faites dans de nombreux morceaux. En froid avec lui déjà quelques années avant son décès prématuré, Dre n'oublie pas tout ce qu'il doit à son comparse de la première heure. Dans Talking to my Diary, le titre de clôture où il pose seul, le Doc revient avec un regard bienveillant sur son long parcours et évoque sa tendresse pour son ami. Une manière, aussi, de permettre à celui qui est parti beaucoup trop tôt de pouvoir également faire ses adieux.