Il semblerait que Le Temps qu’il Faut à Bertrand Betsch est celui qui a cruellement manqué à Nika Roza Danilova aka Zola Jesus dans la réalisation de son Conatus. Car quand le dernier album du français respire la contemplation, la sagesse, celui de la Russo-américaine sent l’empressement. On n’ose pas dire la précipitation…
Le temps qu’il faut, pour Bertrand Betsch, ce sont ces quatre ans de silence après La Chaleur Humaine (2007), des années à se demander s’il allait arrêter de faire de la musique, des années passées à « se souvenir des belles choses », à observer « les figurants » que nous sommes, à écouter « la voix du vent ». Le Temps qu’il Faut, c’est le refus en musique de toujours aller plus vite, recevoir plus vite, réussir plus vite. Comme une ode à la dilatation des minutes, celles qu’on ne prend plus parce qu’elles sont de plus en plus comptées, compressées, contraintes.
Paradoxalement, les mélodies de Bertrand Betsch sont, elles, toujours aussi immédiates, et ses textes prennent toujours le chemin le plus court. Une guitare acoustique, quelques notes de piano, un orgue de chambre, quelques discrètes percussions, c’est tout. Des phrases simples, deux voix sensuelles (Bertrand Betsch est accompagné de Nathalie Guilmot) à la limite de la justesse mais toujours dans la sincérité, c’est tout. Mais c’est ainsi que la puissance du message apparaît au grand jour, aussi direct qu’un uppercut. Il réveille une évidence qui s’était endormie : on ne prend plus le temps. C’est suffisant pour nous convaincre que Bertrand Betsch a réussi un gros coup.
Ce minimalisme betschien, Nika Roza Danilova semblait le porter en elle lorsqu’elle accouchait il y a tout juste un an de Stridulum II, disque aux synthétiseurs glaciaux, aux rythmes martiaux. Un autre style donc, une autre voix (la jeune Danilova chante comme une diva décomplexée) mais, semblait-il une même recherche de la simplicité. Douze petits mois et la voilà qui revient déjà, parce que, elle, contrairement à Betsch, a tout à prouver. Douze petits mois et déjà métamorphosée, comme si cette année de gestation accélérée avait compté pour dix.
Etonnamment, Conatus ressemble plus à un disque de vieux briscard qui cherche à (se) montrer qu’il est capable de se renouveler, plutôt qu’à un nouvel élan. Danilova s’est enfermée dans une complexification inutile, avec des structures de chansons qui ressemblent souvent à des labyrinthes sonores dans lesquels on se perd rapidement… sans volonté de trouver la sortie. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Ainsi les boîtes à rythmes primitives et jouissives ont laissé la place à des beats chichiteux, surproduits, le chant puissant et chaud s’est éteint, dispersé, la conviction a disparu. Les mélodies, avant frontales, contournent désormais l’essentiel. Et voilà que les chansons, sans être forcément très longues, s’étirent, s’étirent, et que l’album devient interminable.
On ne change pas en un an. On a beau avoir la fougue, l’envie débordante de la petite vingtaine, il faut prendre le temps. Le temps de composer, de se retourner sur ce que l’on a fait. « Le temps de bâtir, puis de démolir, tout reconstruire et à nouveau détruire ». C’est Bertrand Betsch qui le dit, et on le croit !