Il y a des paroles de chansons qui sont de la pure poésie parce qu'elles transcendent le rythme et la mélodie et construisent des images poétiques fortes, ravivant des souvenirs ou des pensées enfouis dans l'inconscient de l'auditeur. Celles de Chico Buarque en sont un illustre exemple.
Des compositeurs tels que Chico Buarque, Alceu Valença, Caetano Veloso, Arnaldo Antunes, entre autres, ont des paroles qui sont mises en musique mais qui pourraient être considérées comme de la pure littérature.
Mon poète-compositeur préféré est Chico Buarque qui, en plus de tout son talent musical, possède un don dans l'usage des mots et est, véritablement, un homme de lettres.
« Construção » est un poème protestataire, compte tenu du contexte historique dans lequel il a été créé et enregistré soit dans les années où le Brésil vivait sous le joug d'un régime militaire.
En 1971, date de l'enregistrement de l'album, les brésiliens subissaient des décisions arbitraires prises par le gouvernement considéré comme le plus violent de ce régime autocrate : celui de Emílio Garrastazu Médici (1969-1974). Pourtant, la voix de Chico Buarque, criant contre la dictature, reste d'une effroyable actualité, avec des paroles qui ont encore beaucoup de sens, 50 ans plus tard. Par conséquent, se souvenir de cet album classique, aujourd'hui, dans un contexte où les dérives autoritaires sont plus que d'actualité est nécessaire
Succès absolu à l'époque, l'album représente l'une des plus grosses ventes du label Philips. Selon un rapport, la demande de CD "a conduit l'usine à embaucher deux labels concurrents pour les presser, a obligé le personnel à travailler 24 heures sur 24, et le football du samedi, une routine pendant plusieurs années pour les employés et les artistes, a été suspendu pendant près de deux mois." Les près de 150 000 albums vendus en un peu plus d'un mois étaient représentatifs du succès phénoménal de "Construçao"
Du quotidien justement il en est forcément question dans les paroles douce-amères, où la routine d'une vie monotone, comme réglée sur du papier à musique, côtoie des ballades désenchantées mais aussi le récit d'une journée typique d'un ouvrier du bâtiment qui sur son lieu de travail, trouvera la mort au beau milieu d'une autoroute. Ainsi la tristesse et le désarroi face à l'existence sont même présentes dans les quelques chansons d'amour (Ainsi le chanteur refuse à contre-coeur l'amour d'une femme car il se se sent incapable de briser son armure d'homme fort et prendre le risque de tomber amoureux)
"Construçao est l'antithèse même du cliché éculé voulant que la musique brésilienne soit "festive" ou "joyeuse". Ici la morosité de la vie quotidienne se reflète dans les textes mais aussi dans les mélodies semblant au prime abord tonitruantes et faciles à retenir pour ensuite devenir au fil des écoutes des complaintes mélancoliques.
Cet album ne prête pas à sourire mais à réfléchir sur la condition précaire de l'être humain, qu'il soit originaire du Brésil ou de n'importe quel pays.
Son propos universel est donc d'autant plus fort même 50 ans après sa sortie.