Le 16 décembre 2020 dans la future édition de Paris Match.
Le "chanteur énervant" revient, plus remonté que jamais contre son époque, il nous propose un album acide comme il en a le secret. Le titi Mister Renaud est encore debout ! Prêt à donner un coup de griffe contre les injustices et les tartufes en tous genres...
Et c'est l'année entière 2020 que Renaud Séchant cible cette fois avec l'album "2020 rouge". Nous l'avons rencontré à son QG habituel, la brasserie le Boa, pas loin de la closerie des Lilas (Ricard à 9 euros en terrasse).
L'ancien compère de Coluche est toujours révolté contre les conneries ambiantes et ne recule jamais au moment de les dénoncer : "Macron piège à con, c'est la première chanson que j'ai écrite. Tu vois j'étais là (il désigne la table d'à côté), et je lisais Libé, tu vois, et y avait un article sur les prochaines élections, l'abstention tout çaaaaaaaa et ça m'a frappé, comme une évidence (sa voix s'éraille), c'est pourquoi j'ai décidé de ne plus voter, depuis Hollande c'est plus pareil, quelque chose s'est cassé dans le pays, en plus ils ont coulé Fillon".
Il faut dire que cette année 2020 est particulièrement dure, les événements traumatiques se succèdent n'accordant aucun répit à une population française sur les rotules. La crise sanitaire dont il fera le premier single "Corona Song" reste à ce jour le plus beau règlement de compte avec l'épidémie qui a ébranlé le monde, Renaud poursuit "Je suis con, je sais pas pourquoi j'ai pas fait ça avant, je veux dire, d'chanter sur les maladies, y avait un truc évident à faire sur le Sida dans les années 90, un truc genre :
Tu nous infectes en traître pendant qu'on baise,
Ras l'cul de devoir mettre des satanées capotes
Tu m'débecqtes à te croire vraiment trop
balèze ça m'bouffe qu'tu fasses plus de morts qu'pol pot
Il est peut-être pas trop tard... je vais en parler à Line (Renaud, NDLR)"
La conscience politique est toujours chevillée au corps, et Renaud n'allait pas passer à côté des délires du président américain. Sans peur ni reproche, notre icone se dit prête à assumer les conséquences de ses répliques. La plume agile semble avoir été trempée dans le venin : "La chanson - Donald Trompe - c'était un cris du cœur, Trump je sais pas si vous avez remarqué mais argg (il se racle la gorge et tousse), il est tout orange, avec des mèches blondes, comme un nazi, ça m'a donné l'idée de la chanson :
Mon Amérique c'est James Dean, Marylin et Gary Cooper pas Columbine,
L'héroïne ou Adolf Hitler
"y a pas le même nombre de pieds mais c'est pas grâââââve" conclue-t'il modestement.
Amoureux des femmes, il dénonce sans ménagement les comportements masculins toxiques qu'il a parfois lui même diffusé dans ses chansons. On lui rappelle sa punchline dans Où c'est qu'j'ai mis mon flingue ?"la femme est l'avenir des cons, et l'homme n'est l'avenir de rien" : "Ouais mais j'ai changé, j'avais un ptit côté macho, depuis j'ai eu une fille Lola, j'avais écrit "Elle a vu le loup" pour elle, là j'ai fait la suite "Elle a suriné un porc", heureusement que j'ai les femmes dans ma vie, c'est ça qui m'a fait tenir... Là j'ai retrouvé l'amour avec Esmeralda, c'est la plus belle chose qui me soit arrivée, elle est fraîche, positive, et son exotisme ouvre l'esprit (NDLR une costaricienne de 22 ans).
Plus que jamais alerté par l'actualité, Renaud signe également des textes sur les incendies dans le Var causés par les pyromanes, "Mistral perdant" :
Tu fous le feu pour passer le temps, J'te jure on va te casser les
dents, je sais comment éteindre tes mégots, mon con ça sera avec tes
sanglots.
Renaud écologiste ? L'amoureux du béton renierait-il ses remarques acerbes sur l'écologie "Écoutez-moi vous les ringards, Écologistes des grands soirs, La pollution n'est pas dans l'air, Elle est sur vos visages blêmes..." dans Macadam.
Renaud recadre : "Non mais j'étais acerbe, faut recontextualiser l'époque, on était pas sensibilisés, avec Choron on en avait rien à foutre des écolos, l'urgence climatique est une réalité maintenant, là, d'ailleurs j'ai fait une chanson qui s'appelle "Great A" en hommage à la jeune militante suédoise :
Climato-sceptique t'es vraiment pas d'ma clique, tu fais des barbuc
dans ton 4x4 pendant qu'les phoques se carapatent, vraiment j'te
trouve pas très net, t'as qu'à dégager d'ma planète...
Renaud évolue donc, et si c'était cela la vraie sagesse ? Lui qui jadis prônait la violence juvénile urbaine (Chanson C'est mon dernier bal : "D'nos jours dans les baloches, On s'exprime, on s'défoule à grand coup d'manches de pioches, Une fracture, ça dessaoule..."), anti flic anti état (tous ses textes), il change de point de vue et déplore les assassinats de policiers qui se multiplient ces dernières années : "Oui les flics, j'les aime pas par principe, mais faut pas déconner non plus, des gendarmes de 30 ans qui se font rouler de dessus c'est pas cool, d'ailleurs j'ai écrit une chanson qui s'appelle "J'ai embrassé un flic" en 2016 et puis la violence des jeunes est un phénomène préoccupant".
Une prise de position surprenante dans la bouche de l'ancien loubard du 14e arrondissement, et qui n'est pas passée inaperçue puisqu'il a été pris en grippe par une partie de la France Insoumise, qui lui reproche son soutien à la police, et souligne par la même occasion que ses prises de positions sécuritaires se rapprochent de celles de l'extrême droite, Jean-Luc Mélenchon twittant même "Renaud, quelle déchéance problématique, on le préférait quand il chantait Hexagone #bomboclaat #sheh" #tupeuxpastest.
Renaud manque de s'étouffer "Quoi ?! moi ? extrême droi... j'arrive plus à respi.. ESMERALDAAAAAA ! Ça recommence, on m'a traité de facho, deux fois en 40 ans putain... c'est quoi cette époque de cinglé ? Je vais en faire une chanson, vite mon calepin... Melenchon, qu'est-ce qui rime avec ça ?
Nous l'interrompons dans sa transe créative pour lui poser la question ultime, quel regarde porte-il sur son oeuvre ?
"Mon oeuvre... Bah avec le recul, on voit que je me suis pas gouré des masses"
Nous laissons là le poète urbain, encore tout excités par notre rencontre avec ce personnage qui est loin d'avoir tout dit.
Anthony Genestar-Dupraz
Paris Match
Le 16/12/20