La griffe du maître
Oranssi Pazuzu, c'est une plongée toujours plus intense dans les ténèbres du mental, et une montée toujours plus folle dans l’intuition créatrice. Voilà ce qui pourrait définir la trajectoire des...
le 13 mai 2020
12 j'aime
1
⚠️ Une maintenance est prévue ce Mercredi 4 décembre de 9h00 à 13h. Le site sera inacessible pendant cette période.
Des strates intestines d'une exoplanète nappée d'ombres suinte une suite de sons rauques. Des accords stridents comme un feu céleste inondent les galaxies. Chargés du noir trépas de l'infinité cosmique, les cœurs glacés des astres tout juste éteints poussent leurs dernières litanies. Quelque part, sillonnant dans ce flot quantique, résonnent les pleurs des hommes.
Gabriele Gramaglia le Lombard semble bien l'avoir quitté, ce monde humain qui grouille dans l'informité de ses futiles chimères égotiques. A à peine 28 ans, ce rejeton du sombre Milan a crée tout un cosmos abyssale autours de ses musiques, qu'il instille depuis quelques années à travers des one-man-projects ou des formations plurielles qui tissent des ponts entre les influences, mais se nourrissent du même suc pessimiste, dissonant, chaotique. Turris Eburnea, Vertebra Atlantis, The Clearing Path ... l'énergumène s'amuse à nous perdre dans l'enchêvetrement d'une inspiration absolument sidérante. Cosmic Putrefaction reste le fer de lance de ses fantasmagories lovecraftiennes, avec deux excellents albums parus en 2019 puis en 2020. Cette année, la putrescence universelle revient ascener un nouveau coup d'enclume sonique, avec le bien nommé Crepuscular Dirge for the Blessed Ones. Il n'y a pas que le titre qui térasserais d'un revers de la main le plus prosaïque des discours positivistes, car au détour de chaque morceau qui tissent ce collier charboneux se laisse dérober un testament entier porté à l'encontre de l'humanité suffocante. Fruit d'une vision gargantuesque du Death Metal, Cosmic Putrefaction est une arche antique qui s'érrige vers les horizons embrasés du futur.
Musicalement, les compositions de cet album s'éloignent de la cathatonie clostrophobique des premiers méfaits, pour se concentrer d'avantage sur la complexité de rythmiques plus élevées, l'enchêvetrement d'émotions plus alambiquées et les brisures d'ambiances plus savoureuses. Doté d'un degré de technicité et de progressivité à faire pâlir la majorité des mortels, Gramaglia termine l'ébauche de son chef d'oeuvre cérébral, ici propulsée par le très qualitatif label Profound Lore Records. Moins Black metal et plus Death Prog, voilà la mue parachevée du spectre astral. Rendant hommage aux grands apotres de l'atonalité extrême (Gorguts, Dissection ou Immolation viennent en tête), septs morceaux charnus s'abattent sur nous comme s'abattirent les sept plaies d'Egypte sur l'Empire profané du Pharaon.
Lyriquement proche du nihilisme et du romantisme le plus décharné, l'album tourbillone de part en part. Il suffit de se laisser perdre dans la monstruosité labyrinthique de Sol's Upheaveal Debris, pour déjà suffoquer. Avec From Resounding Silence to the Obsidian Womb, on glisse littéralement sur les marches de l'antre de quelque xénomorphe luciférien. Et tandis que les riffs ultra incisifs et la voix caverneuse (façon vieux Death Doom excquis) retentissent, on chût mollement sur Amniotic Bewilderment, qui a l'effet d'une nouvelle supernova miasmatique semblant scander toute la disharmonie du monde. Puis, eberluhés, on retrouve un Lysergic Sulfuric Waters presque mélodieux, à l'ossature rythmique épaisse comme une croûte volcanique stratifiée par les âges. Twisting Spirals of the Murk s'amuse à nous perdre dans ses bipolarités malignes, et tandis que planent les goules d'un juvénile Opeth, on s'écrase sur un titre à la complexité vertigineuse (encore), Cradle Wrecked, Curtains Unfurled. Avec ses apports de synthés lunaires, on côtoie presque la galaxie de Mare Cognitum (lors des versants les plus tortueux) ou de Krallice, pour lequel Cosmic Putrefaction partage l'audace avant-gardiste et l'épaisseur passionée du conteur d'outre-monde. Le titre final et éponyme clôture magestueusement l'album avec son introduction ambient, avant qu'un maëlstorm de cordes strillées et de percussions tendues délayent la clarté grise dans une mort épurée, presque sereine. La dissolution des bienheureux dans les enfers, après la salve d'un dernier requiem de colère et de larmes.
Une dernière fois, on contemple la cover de l'album, qui rappelle les peintures chrétiennes du jugement dernier. Et se clôt la porte ouverte sur un monde d'effroi, glacé et solitaire comme une poussière de météore perdue dans l'immensité cosmique.
Telle une sorte de funeste dissonance adressée aux apôtres déchus de croyances béliqueuses, Cosmic Putrefaction se découvre avec gravité, avec totalité, et jamais ne s'oublie. Un peu comme une mise en musique de la bile la plus amère d'un Cioran possédé, Cosmic Putrefaction illumine les cieux absents de toute salvation, condamne les sens, et libère les âmes de leur fardeau terrestre.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Hégire des Harmonies Hermétiques - 2022 en musique
Créée
le 17 juin 2022
Critique lue 5 fois
Du même critique
Oranssi Pazuzu, c'est une plongée toujours plus intense dans les ténèbres du mental, et une montée toujours plus folle dans l’intuition créatrice. Voilà ce qui pourrait définir la trajectoire des...
le 13 mai 2020
12 j'aime
1
La lente désagrégation des génies du rock alternatif, volume 4. La bande de Bellamy pique cette fois-ci sa crise de la quarantaine, elle ressort ses vieilles cassettes de Nu Wave, ses jeux-vidéos...
le 10 nov. 2018
11 j'aime
3
La forêt a été éventrée par des tentacules de plastiques et des écailles de béton. Les souches centenaires s'effritent sous les chenilles d'acier des monstres constructeurs. L'air se fait de plus en...
le 18 mai 2021
10 j'aime
4