L'orgie cosmique d’une monstruosité chitineuse

Entouré d’immenses colonnes de diamants, je chemine dans le labyrinthe glacé. L’air qui s’efforce encore de sortir en volutes épaisses de ma bouche dessine des nuages osseux. A mes pieds gisent d’archaïques soldats d’une guerre oubliée des dieux, d’un massacre répudié des temps. Derrière cette lumière crue qui inonde le paysage, l’entité lugubre guète. Il faut que je continue d’avancer, car au cœur de ces méandres de cristal se trouve l’achèvement, l’accomplissement de toute chose.


En thaumaturge terrestre manipulant d’étranges forces mystiques, Krallice continue à ployer sous une inventivité terrifiante. Refusant de se répéter, le groupe délivre depuis 2008 un suc chaque fois plus puissant en termes d’audace, d’imaginaire et d’évocation. A la marge de tout ce que le metal peut avoir de plus balisé, Krallice noue les fibres d’un black cosmique avec la glaise d’une dissonance extrême.


Là où beaucoup échouent, Krallice rayonne d’éclats d’outre monde : sa technicité hallucinante et sa progressivité constante sont toujours au service d’un dessein bien plus grand que le catchy ou le badass recherché par beaucoup : celui de vouloir, du plus profond de ses tripes, créer une atmosphère unique et absolue, celui de vouloir perdre l’auditeur dans un tourbillon de folie émotionnelle, de la première à la dernière note de compositions dantesques.


Après des débuts très incisifs puis une inflexion de plus en plus avant-gardiste (surtout depuis « Ygg Huur » en 2015), Krallice enfonce avec « Crystalline Exhaustion » le clou de l’expérimentation. Sans jamais renier sa boue d’électrons matricielle, les alchimistes de l’étrange continuent là où « Demonic Wealth », leur précédent album de 2020, s’était arrêté : doter leurs trances cathartiques d’une approche plus atmosphérique que jamais. Cela passe par l’utilisation massive de synthé, qui devient clairement l’instrument phare des compositions, le pivot des sonorités, loin devant les guitares tapies, la batterie tamisée ou le scream devenu presque accessoire. Synthés non synthétiques mais pareils à d’étranges fluides d’un rêve spectral et protéiforme, qui lorgne du côté de la dark ambient ou du dungeon synth – mais tellement plus encore.


Globalement, même si l’album est plus énervé que son grand frère « Demonic Wealth », et s’il mélange un peu plus les époques et les goûts, il en ressort une homogénéité et un sens de l’harmonie que le groupe n’avait jusque-là jamais atteint. Qu’il s’agisse des pièces plus courtes ou des deux colosses qui encerclent le rituel, « Crystalline Exhaustion » délivre un message totalement cohérent, spontané mais d’une maîtrise démentielle. Outre la fureur (Heathen Swill, Archlights) et la peur (Telos), certains passages poussent le lyrisme mélancolique dans des frontières inédites, je pense surtout au morceau-titre qui, du haut de ses 14 minutes, créé une déferlante de sensations ingérées qui nous confinent à l’hébétude. On a l’impression d’assister à la naissance d’un genre nouveau et c’est, je crois, le cas tellement Krallice a su s’affranchir de styles pour forger sa cuirasse astrale.


Rongeant la mue d’une chrysalide innommable, Krallice révèle ses nouvelles formes chitineuses, toutes en pointes bleutées aux rayonnements interstellaires. Et la créature vibre au rythme d’une transe métaphysique, elle dévore les mondes et s’accomplie dans ce festin surnaturel. Car Krallice a bien quelque chose qui dépasse le réel, le palpable, l’habituel. Quelque chose qui touche à ce que la créativité humaine peut avoir de divin.

FlorianSanfilippo
9

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Créée

le 1 févr. 2022

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