Une soif de découverte vous réveille de l’état comateux et lugubre d’un quotidien harassé de molles répétitions. Vous percevez l’obstacle de cette météore grise qui ébrèche vos destinées, froisse vos sourires et vous plonge dans un monde d’artificialité douceâtre - coma de l’ennui, aliénation plate et sordide! C’est alors que cette extraordinaire faim s’installe elle aussi en vous et croque ces luxuriantes fantasmagories qui ne cessent de frémir puis sourdent d’un grondement sec qui bruisse et claque et remue et s’intensifie jusqu’à son dénouement paroxystique: une absurde déflagration de couleurs recouvre tout, et rien, absolument rien ne flétrira dorénavant.
Bienvenue de l’autre côté du cristal. Ici, les ombres des choses s’étirent dans un infini trouble qui ne se distinguerait en rien de votre corps et de toute entité si la matière n’était pas intensément pigmentée. Les sentiments d’âmes en nuancent les facettes, et donnent ainsi forme à cet univers miroitant. Les humides caves bordelaises ont laissé fermenter un corps aux réfractions dignes, aux mouvances subtilement prodigieuses : Mars Red Sky. L’esthète a perdu de mire la voie lactée pour s’ancrer dans un monde-miroir ou le lien est omniprésent : entre un passé déjà audacieux et un dialogue présent qui refuse toute ostentation futile, toute stagnation servile, Dawn of the Dusk évite le manichéisme instinctif et la dualité stérile pour réfracter une réalité parabolique bien plus concave : comme l’aube qui rejoint le crépuscule, la sagesse de l’action s’unit à la douceur émerveillée du monde. Cette voix astrale, celle de Julien Pras, s’accorde divinement avec son ombre la guitare, qui fabrique quelques centimètres plus bas de lents récits aux saveurs flamboyantes. Tristes comme un hameau déserté, rugueuses comme un océan de chardons aux charades ocres, parfois écumantes et salées, ou en nappes de brumes épicées, les mélodies sont plus foisonnantes et belles que jamais. Avec une docilité capiteuse, on ouvre « Break Even » avant de laisser flamber les torches de Helen Ferguson, alias Queen of the Meadow, qui a laissé là un doux stigmate de cet EP concocté quelques mois plus tôt. Avec force et grâce, « Maps of Inferno » prend la forme d’une étrange cérémonie païenne d’origine extragalactique. Un pied dans le monde de l’Homme, l’autre dans le cosmos, et l’esprit rivé dans les songes : voilà ce dont témoigne ce titre intriguant - et cet album tout entier.
La focale est alors ouverte sur d’autres étrangetés dont l’on s’abreuve comme d’une liqueur miraculeuse : les élans gothiques du solennel « The Final Round » s’effilochent dans un refrain incroyablement envoûtant, sillonné par des guitares aux réverbérations vives, avant que tout l’édifice ne manque de s’effondrer sous le hachoir d’une rythmique étonnement lugubre. L’instrumentale « A Choir of Ghosts » s’ébat puis s’évase dans cette noirceur pressentie, mais la glace possède bien des reflets : « Carnival Man » dédouble un peu plus les impressions en buvant de nouveau la clarté d’un psychédélisme à l’indolence trompe-l’œil. L’éphémère « Trap Door » troque l’acoustique du blues pour le mugissement du fuzz, intronisant la rythmique bruyante au fin cisèlement des cordes et des voix ; deux mondes s’entrechoquent pour fusionner, et du renflement stoner/doom s’infiltre finalement un retour aux songes à l’impalpable impression de déjà vu : cet « Heavenly Bodies » siffle le doux espoir des échappées-belles, mais soudain une vague noise vient interférer avec la quiète procession – et c’est cette vague qui débute précisément sur « Break Even ». Les deux faces d’un même chemin se rattrapent, l’esprit pluriel se réunit enfin dans cette grande fresque impressionniste.
Chronique parue dans Obscur Vol 1 - suivez le lien et soutenez-nous sur https://www.instagram.com/obscur_mag