Je viens de découvrir ce groupe de rock si mythique qu'est Noir Désir. Et j'avoue qu'autant "Veuillez rendre l'âme (à qui elle appartient)" et "666.667 Club" m'ont séduit sans plus (ce qui est déjà cool, bien sûr !), autant "des visages des figures" m'a halluciné. Il se distingue avec des exercices d'écriture aussi divers que ses exercices d'atmosphères, par ses invités et ses changements de style constants, ce qui fait que la surprise est palpable. L'album semble comme un fleuve, où l'on navigue jusqu'à ce que l'eau bouillonne de plus en plus... et avec "l'Europe", on tombe de la cascade, mais quelle cascade... tu plonge dans l'eau, l'album est fini. Et j'ai alors voulu faire comme sur "J'accuse" de Saez: remettre le disque. C'est un album extra-terrestre, quasiment prophétique, touchant le mystique à de nombreuses occasions...
Il commence avec "l'Enfant Roi". Autant dans la forme le texte est simple, autant ses véritables intentions le sont beaucoup moins. Attention aux apparences ! La mélodie acoustique, même répétée à l'infini, garde sa fraicheur, et au final les 6 minutes 20 passent pour seulement 3. "Le grand incendie" est étrange. En effet, ce Noir Désir est sorti le 11 Septembre 2001. Et ce texte, qui n'a certainement pas été écris pour cet évènement, fait bizarrement penser aux attentats tragiques (ex. l'hommage aux pompiers allié à l'évocation de New York)... c'est pas moi qui ai trouvé, c'est une remarque judicieuse du chroniqueur de RockEver. Le titre en lui-même, purement rock, dépote carrément, et le toucher à la batterie si particulière du batteur mêlé à l'harmonica enflammé rend d'autant plus immersif ce cauchemar raconté. Ma préférée de Noir Désir en même temps que leur plus gros tube, "Le vent nous portera", est extraordinaire. Tout est planant dans cette chanson, tout est beau, tout est profond. Et la guitare de Manu Chao, rien à dire... à noter que le clip accompagnant ce chef d’œuvre est par contre une grosse merde. "Des armes", qui est encore une chanson à part, a été écrite par Ferré, et Léo est un chanteur qui fait parti de mes athlètes musicaux personnels. Autant dire que j'attendais le groupe au tournant. Et comment dire... je trouve que Cantat est un peu paralysé par ce privilège unique de donner une musique au texte d'un mec comme ça, et du coup n'ose pas aller assez loin. Voilà, mais le morceau reste d'une belle qualité. "L'appartement", chanson qu'on voit plus qu'on entend au final, est encore une fois un vrai trip exaltant. Même si, lorsque Cantat va dans les aigus, j'ai un peu de mal à comprendre ce qu'il dit. "Des visages des figures", autre expérimentation, m'émeut beaucoup, en particuliers pour son "J'ai douté des détails, jamais du don des nues. Les trouvailles s'enchainent et on sent les musiciens au diapason. "Son style 1", qui retrouve le rock pur, casse tout sur son passage, avec un texte qui a des résonances "Ferréennes", mais "Son style 2" est par contre bien naze. "A l'envers à l'endroit", sommet de poésie dépressive, atteint encore là une qualité toujours plus innovante. "Lost" et "Bouquet de nerfs", encore deux univers parallèles, mais autant maitrisés. Même si j'accroche pas à la prestation vocale de Cantat dans le deuxième titre. Et puis, l'imposant "L'Europe", dans tous les sens du terme, et donc ultime titre du groupe. Une sorte d' "Il n'y a plus rien" moderne. Une renaissance de 23 minutes du surréalisme. Un pamphlet politique que personne d'autre n'aurait oser sortir aujourd'hui. Une audace magistrale. Le Chaos imprimé sur disque. L'Enfer qui arrive sur ta tronche, cisaillé par des musiciens qui se livrent corps et âme à l'union sacrée avec le texte en forme de bras d'honneur délicieux. Un chef d’œuvre absolu. Je comprend parfaitement qu'il en désoriente plus d'un, certains vers sortent vraiment de nul part ("Tryphon Tournesol est un zouave, six fois !"... What ?), mais c'est parce que le groupe, pour son dernier titre, comme si il avait pressenti sa fin, avait donné le meilleur de lui-même tout en laissant un héritage sonore nouveau, plus hors-normes, avec des essais audio toujours plus voyageurs. Personne n'a refais un exercice pareil aujourd'hui... peut-être Saez, un jour...
Donc, au final, au risque de choquer certains, c'est bien que ce soit le dernier album de Noir Désir, qu'il n'y en aura plus d'autre. Ils ne feront pas mieux, et c'est une fin adéquate à un groupe qui a autant plu aux Français. Il est complètement à part, et à jamais. C'est toujours dans la Marge que fleurissent les plus belles fleurs.