Tiens, un beau souvenir pour commencer : j'ai 17 ans, c'est l'année de mon Bac, il fait beau, je rentre chez le disquaire d'une petite ville à une trentaine de kms de chez moi, j'achète "Diamond Dogs", avec son étrange - très belle ou très laide, selon l'humeur du jour - de Pellaert (avec les organes génitaux de notre chien de diamant soigneusement effacés pour ne pas nous choquer...). Le soir, rentré à la maison, je pose la précieuse galette (je suis le number 1 fan de Bowie dans ma ville !) sur le tourne-disques de la stéréo, et je m'immerge dans le "nouveau Bowie". J'en ressors surpris (beaucoup), déçu (un peu), sans savoir si j'ai aimé ou pas cet album, qui tranche franchement avec ses prédécesseurs...
Et il faut bien avouer qu'on en est à peu près au même point plus de quarante ans plus tard : "Diamond Dogs" est-il un bon ou un mauvais Bowie ? Les avis restent partagés, comme c'est souvent le cas lorsqu'on parle d'albums de transition comme celui-ci... et c'est finalement logique. Bowie a viré ses Spiders from Mars, alors que la guitare Mick Ronson était la pierre de touche de la musique de Bowie depuis "The Man Who Sold the World" : ici Bowie joue lui-même la guitare, et, soyons honnêtes, ce n'est pas particulièrement brillant... Ainsi le riff "stonien" de "Rebel Rebel", pour être accrocheur, est délivré avec un manque de dextérité qui fait de la chanson plus une sorte de caricature du genre que le standard potentiel qu'elle aurait pu devenir...
Sans groupe désormais, entouré de musiciens compétents mais que l'on sent bridés (le travail de Mike Garson au piano n'est plus que le pâle reflet de celui d'"Aladdin Sane"), Bowie souffre aussi clairement d'un manque de direction : il a envie d'abandonner le glam rock, à son avis dépassé, il poursuit par contre dans la ligne de sa fascination pour les Stones, et surtout il est tenté par le funk et la soul, comme on le perçoit clairement à travers les deux dernières chansons de l'album, sans doute les deux seules vraiment excitantes, "1984" (dans une version encore maladroite) et surtout le magnifique "Big Brother" qui indique la direction à venir pour les années suivantes...
Mais le gros problème de "Diamond Dogs" vient sans doute de Bowie lui-même, qui entre dans la période la plus critique de son existence : victime de son succès, il est en pleine crise conjugale, il est en conflit avec son management dictatorial, problématique pour un "control freak" comme lui, et il sombre dans l'usage immodéré de substances illégales. Son inspiration est en berne, il nous offre pour la première fois depuis "Hunky Dory" un mauvais morceau, "Rock'n'roll With Me", qui préfigure salement les moments les plus faibles du Bowie post-1985. Mais même des chansons assez inspirées comme "Sweet Thing / Candidate" ou "We are the Dead", dont on sent le potentiel, se révèlent pauvrement exécutées, voire mal produites (... par Bowie lui-même !).
Globalement, il faut néanmoins reconnaître à "Diamond Dogs" le mérite de l'originalité, et surtout la noirceur terrible de ses thèmes dysptopiques, dérivés du "1984" d'Orwell dont on aura refusé les droits d'adaptation à Bowie : quelque part, ce cauchemar éveillé, qui se matérialise sans doute le plus clairement dans les deux passages "abstraits" assez aventureux de "Sweet Thing (reprise)" et "Chant of the Ever Circling Skeletal Family", annonce la future réussite de "1. Outside".
Paradoxalement, malgré son aspect relativement peu commercial, "Diamond Dogs" sera le premier disque de Bowie à percer aux USA... ce qui va lui offrir un socle pour son envol vers le funk et soul "made in Philadelphia" de "Young Americans".
Mais c'est une autre histoire, d'ailleurs autrement plus passionnante !
[Critique écrite en 2021]