C'est le jour où j'ai entendu pour la première fois "We are the dead" que j'ai compris que David Bowie venait d'ailleurs, qu'il était différent, qu'il était le seul à pouvoir produire de tels sons mêlés de textes étranges sur des mélodies aux harmonies d'une beauté "venue d'ailleurs". Je n'ai même pas envie de dire que c'est beau. ça me semble si évident que je ne suis pas là pour vous en convaincre. J'ai seulement envie de dire que c'est … différent. Cette façon de juxtaposer, d'écrire par layer comme un plasticien, d'être expérimental sans pour autant fuir dans une sphère où personne ne le suivrait.
Car, avant tout, il est là le génie de David Bowie : composer des œuvres étranges et sophistiquées qui enthousiasment le profane. Tant de générations passées, présentes et à venir se nourriront de ces mets raffinés qui sont tout sauf superficiels.
David Bowie invite à un voyage. Et quelques-uns le suivront dans son périple où s'entrechoquent la musique, la peinture et la réflexion.
Écoutez « Sweet thing », surtout la reprise après « candidate ».. et dites-moi qui vous a jamais emmené si loin ? Beethoven peut-être ? La beauté est esthétique mais pas seulement. Elle est chargée d'émotions humaines et célestes. Projetés dans les étoiles sans rien y comprendre, on se retrouve la peau couverte de frissons et les yeux embués.
David Bowie n'a eu de cesse d'expérimenter et d'exprimer le fruit de son expérimentation. Son propos n'a jamais été autre que de se dire « et si je mettais ça, avec ça, est-ce que ça marcherait ? ». Et ... ça marche. Parce qu'il a le « gène » que si peu ont, l'intuition que 2 couleurs à-priori opposées vont, comme par miracle, produire leur magie.
On en ressent les prémices dans l'album Space Oddity. Ils s'affirment dans Aladdin Sane (remercions au passage Mike Garson et son piano). Puis Diamond Dogs paraît, à la frontière entre le glam spécifiquement anglais et la musique noire américaine pour laquelle David a toujours eu la plus grande fascination. Soudain, il semble que David Bowie ne souffre plus de limites. Le reste de sa carrière est là pour en attester. Bien que cela soit depuis toujours, il se nourrira désormais, encore plus, de toutes les influences, s'abreuvera à toutes les sources, en fertilisera des territoires inconnus jusqu'alors ; ces territoires de demain où tant de générations s'épanouiront.
Peut-être est-ce parce que Diamond Dogs est né d'un échec personnel qu'il fut, pour David Bowie, sa façon de rebondir. En effet, il fut question, à l'époque, d'un spectacle musical basé sur 1984 de G. Orwell qui, pour des questions de droits, n'a pu se concrétiser. Dès lors, coke et funk aidant, il quitta la stratosphère. Ce « starman » qu'il était déjà, il le fut plus que jamais. Vivant à la limite du rêve et de la réalité, il a survécu à la dichotomie. Parce qu'il en était capable, il a été chercher, là où si peu peuvent respirer, la musique sous une forme qu'on ne connaissait pas.
Mais, ces harmonies, cette façon d'utiliser sa voix, ses mélodies changeantes, soudain, nous étaient devenues naturelles, essentielles.
L'autre faculté de David Bowie est, non seulement son goût pour les expériences mais cette intensité dans la façon de nous les offrir. Un show man extraordinaire, là encore « venu d'ailleurs », qui captive et fascine. Et cela s'entend dans les albums studio comme en live. L'homme que, à force de copiés/collés, tant de journalistes superficiels, sombrant dans la facilité, ont eu l'indigence de décrire comme un caméléon, est l'un des artistes les plus honnêtes et les plus authentiques qui soit. Jusqu'à la vulnérabilité parfois. (quel artiste si immense a offert un dernier album, et quel album, à ses fans, 2 jours avant sa mort, pour leur dire, je ne vous oublie pas ? ) Caché derrière Ziggy Stardust et, ici, en l’occurrence, derrière Halloween Jack, David Bowie ne fut jamais, évidemment, que lui-même. un être différent.
Traînant dans les rues crasseuses de New-York, ces « chiens de diamant » aboient, mais leur aboiement, tout crépusculaires qu'ils soient, est flamboyant. 42 ans après Diamond Dogs, David Bowie est toujours ce rebelle magnifique, cette « sweet thing ». 42 ans après, David Bowie est toujours aussi renaissant. Et nous, fasciné et reconnaissant.