Spleen
Dieu que le temps a passé vite ! Qu'il semble loin le temps des tâtonnements. Ce temps où l'on faisait ses armes dans quelques pubs enfumés des grises banlieues londoniennes; où l'on se faisait la...
le 14 janv. 2020
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Disintegration est le huitième album studio de The Cure sorti le 2 mai 1989. Il est important de souligner que seules 10 pistes figurent sur la fiche SensCritique: Last Dance et Homesick ne figurant pas sur l’édition vinyle originale de 1989.
Les années 80, d’un point de vue strictement général, représentent des années glorieuses, colorées, enfantines et totalement décomplexées – ce que The Cure a reflété avec ses 2 albums précédents (The Head on the Door et Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me), avec un style beaucoup plus accessible et pop (de la new wave, en somme).
Cependant, le groupe va faire un virage à 180 degrés pour revenir à un style et une atmosphère beaucoup plus sombre, comme au début de leur carrière - alors l’ère du rock gothique et du post-punk. Obscur et mélancolique, ce nouvel album va clore les années 1980. Cette fameuse désintégration résultera en une maestria sonore et musicale parfaitement accomplie, une évolution artistique d’une cohérence sans faille.
Ce parti pris s’explique par l’approche des 30 ans de Robert Smith (leader, guitariste, chanteur et principal compositeur du groupe) et de l’immense tournée qui a suivi leur dernier album.
Alors en pleine dépression réactionnelle et d’incertitude professionnelle (l’idée d’être une icône pop le terrifiait), il décide de se réfugier au studio Hookend en novembre 1988 : un manoir situé en plein milieu de la campagne anglaise. Il y compose l’ensemble des titres qui seront dans leur (futur) album culte – je l’ai nommé Disintegration.
L’album s'ouvre sur un fade in (montée progressive du volume en partant du silence) et abouti à une marée de synthétiseurs spacieux, de guitares lentes et d’une basse mise en avant dans le mix. Le tout a un esprit fortement éthéré et orchestral. Il faut attendre plus de 2 minutes 30 d’intro instrumentale de Plainsong pour enfin entendre Robert Smith chanter « I’m so cold ». Cette phrase, bien que simpliste et sans grande importance aux premiers abords, annonce directement la couleur de l’album: elle nous plonge dans les abysses vertigineux et labyrinthiques de ce-dernier.
Cet album est à la croisée des genres : dream pop/shoegaze (les plus représentatifs, à mon humble avis), rock gothique et darkwave. Il fait énormément appel aux synthétiseurs FM et analogiques de l’époque, aux couches de guitares noyées dans le chorus et/ou le flanger, aux textures sonores, à une basse plus que centrale dans la composition et le spectre sonore, à une batterie fortement réverbérée, … etc. Ce disque est, à mon sens, l’antithèse de Pornography : la mélancolie rêveuse et romantique s’oppose à la mélancolie destructrice et nihiliste.
Même si la majorité des compositions sont lentes et teintées de morosité/spleen, l’album contient quelques chansons qui apportent de la lumière à cette obscurité : Lovesong (écrite par Robert Smith comme cadeau de mariage pour sa femme), Pictures of You et Lullaby. Elles créent une forme d’équilibre à l’ensemble.
La chanson-titre de l’album s’ouvre à nouveau sur le son d'un verre brisé et pour moi, cela signifie qu'il (Smith) a en quelque sorte fait une incursion en lui-même, il entame à nouveau une profonde réflexion introspective : il voit que le monde est aussi terrible qu'il le pensait.
Contrairement à mon top 3 albums, je n’ai pas découvert celui-ci pendant mon enfance ni adolescence. Par conséquent, je n’ai pas d’attache nostalgique particulière à ce dernier, même s’il en procure à mon égard : ses mélodies douces, rêveuses, intimistes, son homogénéité, le caractère éphémère de la beauté dans toute sa tristesse, …
Il s’agit d’une véritable œuvre d’art, dans toute sa beauté et simplicité. Je la compare souvent à de la poésie ou à une peinture, car elle est tout ce qu’elle m’inspire. Au fur et à mesure de leur carrière, le groupe s’est dirigé vers un romantisme musical fin et racé ; un romantisme Baudelairien, décadent et écorché vif.
Ce que je trouve si fascinant et unique ici, c’est son ambiance. J’ai mentionné au début de cette critique qu’elle était sombre et dépressive, mais elle se déploie comme une étreinte chaleureuse. On a cette constante impression d’être entouré d’une bulle chaude et organique, emportée par les courants de la dépression et des ténèbres de la vie. Cette fameuse bulle nous protège, elle nous guide et elle nous hypnotise.
La fin de l’écoute de ce disque ne nous laisse pas indemnes : on a un goût amer en bouche, des larmes qui ne nous trahissent pas, une impression de vide intersidéral, d’être au bord d’un gouffre sans fin et totalement dépourvu de lumière. Serait-ce ça le voyage de la vie ? L’aboutissement du rêve et de l’innocence ?
Je vous dis à bientôt pour une prochaine critique !
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Créée
le 12 mai 2021
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