Il était une fois en Afrique du Sud, deux personnages particuliers, le premier Watkin Tudor Jones est un rappeur de Johannesburg, qui galère dans différents groupes avec plus ou moins de succès, et la deuxième Anri du Toit, est la fille du directeur des communications de l’église réformée hollandaise, une des plus strictes églises d'Afrique du Sud. Très vite ces deux personnages en viennent à collaborer dans différents projets en adoptant différent pseudonymes. Watkin Tudor Jones prendra dans un premier temps le nom de Max Normal, tandis que Anri du Toit optera pour le pseudonyme de Yo-Landi Visser.
The Original Evergreen, Max Normal, The Constructus Corporation, Max Normal.TV… les projets s’accumulent mais leur big break n’est pas encore arrivé. Surprise en 2005, ils donnent naissance à la petite Sixteen Jones.
Mais l’histoire de ces deux personnages est loin d’être terminée, car c’est en 2008, qu’ils vont lancer avec l’aide du DJ Justin de Nobrega déjà présent dans le projet Max Normal.TV, le groupe Die Antwoord « La réponse » en Afrikaans, la langue des Boer, les colons néérlandais qui se sont installés en Afrique du Sud. Et c’est à partir de là que Watkin va une nouvelle fois changer d’alias est prendre le pseudo de Ninja tout en cultivant l’image de ce personnage une sorte de gros beauf pas très sympathique. Personnage qui va d’ailleurs parfaitement avec le mouvement contre-culturel dont le groupe se revendique, le mouvement Zef. Mouvement qui selon toute vraisemblance tire son nom de la Ford Zephyr, voiture souvent utilisée par les afrikaaners de la classe ouvrière vu comme inférieurs par les classes plus distinguées. Le style zef qui met donc l’accent sur le démodé et le ringard, ce qui se voit au premier coup d’œil à la coupe de cheveux de ce cher Ninja. Pour les deux personnages, le mouvement zef est d’être comme on est et d’en avoir rien à battre de ce que les autres pensent, et cela se voit direct quand on observe les looks excentriques de Ninja et Yo-Landi. Et c’est à partir de ça que ces deux personnages vont devenir la figure de proue de ce « style ultime » comme le revendique si bien Ninja.
Et cela dès 2009 avec leur premier album $o$, qui reprend des sons utilisés notamment avec le projet MaxNormal (en témoigne la réutilisation du morceau Beat Boy). Le groupe impose directement son style particulier, un peu freak, d’une part par l’artwork de la pochette, et ensuite par ses clips, notamment celui d’Enter the Ninja mettant en scène le DJ Sud-African atteint de progeria Leon Botha. Et c’est notamment grâce au succès de ce clip vidéo, ainsi que de celui d’Evil Boy dénonçant le rituel de circoncision symbolisant le passage à la vie adulte dans les tribus Xhosa que le groupe va trouver un label, qui lui permettra un an après de ressortir leur premier opus.
Malheureusement les choses ne vont pas se passer aussi bien, le label Interscope voulant rendre le son de Die Antwoord plus mainstream, le groupe va décider de rompre leur accord et va lancer leur propre label, Zef Recordz. C’est donc sous leur label, qu’ils vont sortir en 2012 leur deuxième opus Ten$ion, et c’est à partir de là qu’ils vont connaitre une reconnaissance mondiale. Leur marque de fabrique consistant en le flow puissant de Ninja et la voix suraigüe de Yo-Landi mêlant anglais et afrikaans, le tout agrémenté des bons gros sons rave de DJ Hi-tek fait son effet jusqu’au USA. Le groupe joue toujours sur le visuel, de par leur accoutrements originaux et encore et toujours leurs clips complètement dingues, allant jusqu’à causer des embrouilles avec Lady Gaga. Le groupe peut alors partir en tournée mondiale l’année suivante.
C’est donc au summum de leur reconnaissance que Die Antwoord sort en 2014 leur troisième album, Donker Mag ( « Force du mal » en Afrikaans ).
L’album qui débute par Ninja quotant Scarface en adressant un message au manager du groupe lui donnant pour conseil de ne pas fait lui faire de sale coup. Et c’est sur cette accroche que s’enchaine Ugly Boy, parfait exemple du mélange de la voix sexuelle de Yo-Landi et du très bon flow de Ninja. Le tout sur une sample d’Aphex Twin, grande inspiration du groupe et qui apparait d’ailleurs au côté de Marilyn Manson, Jack Black, Flea et Cara Delevingne dans le clip du single.
C’est ensuite la place à une bonne rafale de violence au travers du morceau Happy go sucky fucky, servie par des gros beats et un refrain accrocheur nous faisant lever le majeur en l’air. Contrairement au premier album, où les morceaux s’enchainaient à vitesse grand V, Donker Mag dispose de quelques interludes, comme en témoigne le morceau suivant Zars, où Ninja nous parle de la diversité culturel dont il fait preuve alliant l’anglais et l’afrikaans, passage qui sert de préambule à Raging Zef Boner, le morceau de l’album qui montre certainement toutes les qualités de Ninja au micro, nous délivrant alors un rap assassin, tout un jouant sur l’humour.
'Whos you're favourite rapper ninja?' Myself
Après que Ninja ait pu montrer tout ses skills et nous subjuguer par son flow, c’est au tour de sa comparse Yo-Landi de se mettre en valeur. Et comme pour avant, on a le droit à un interlude nommé Pompie qui consiste en un fou rire enfantin de Yo-Landi. Cette fois-ci on met en évidence le côté gamine de Yo-landi, cela accentué notamment par sa voix. Et le morceau suivant, Cookie Thumper va jouer avec le contraste entre cette voix enfantine, et ses paroles qui ne le sont pas du tout, donnant un aspect particulièrement dérangeant au morceau. Cookie Thumper qui permet donc en nous racontant l’histoire d’une jeune fille et d’un ex-taulard pervers de nous montrer tout l’étendue du talent de Yo-Landi, c’est d’ailleurs le seul morceau de l’album où elle se retrouve seule derrière le micro. Morceau qui avec le son clip renforce d’autant plus son image de Lolita dégénérée.
Sny jou koekie! Sny-sny jou snoekie cookie! Cut it-cut it, hey kitty
kitty kitty! Cut it-cut it, hey kitty kitty kitty!
Retour à l’alliance des deux membres dans Girl I want 2 eat u, un petit morceau dédié à l’organe sexuel feminin, qui comme le dit si bien Ninja
Smells like fish, tastes like chicken!
Alternant les verses de Ninja et Yo-Landi, et un refrain en zulu très efficace, il fait partie des morceaux les plus remarquables de l’album avec des sonorités qui donnent envie de bouger. Tout cela pour finir sur une petite chansonnette de Yo-Landi, une nouvelle fois pas dénuée de sens caché.
On enchaîne ensuite sur l’un des singles de l’album, inspirée d’un morceau de la BO du film Chat noir, chat blanc de Emir Kusturica, Pitbull Terrier. Le groupe joue une nouvelle fois l’alternance entre un Ninja super agressif portant cette fois-ci un masque de pitbull, et une Yo-Landi quasi mystique. Et après Lady Gaga, c’est au tour de Pitbull d’en prendre pour son grade dans le clip vidéo.
Fuckin with ultimate !
Après un morceau typique de l’univers Die Antwoord, arrive la grande surprise de l’album certainement, Strunk une sorte de balade un peu creepy où Ninja abandonne ses flows et Hi-Tek ses gros sons. Ambiance plus reposante mais à la fois plus sombre, une vraie petite pépite. Après un nouvel interlude, où Yo-Landi montre qu’elle peut être tout aussi agressive que Ninja, s’enchaine un gros morceau avec l’aide de DJ Muggs de Cypress Hill (grande inspiration du groupe également) rendant hommage à la fascination pour les rats qu’éprouve Yo-Landi.
I’m a fucking rat not a copycat This happy cats take my style and
molest it
Un morceau avec des basses bien lourdes s’éloignant des sonorités rave/électro des précédents morceaux. Une petite dispute au début de I Don’t dwank, oblige Ninja à nous offrir un premier verse a cappella avant que Hi-Tek nous délivre un bon petit beat, pour un morceau plein de rage, où le groupe nous exprime qu’ils ne sont pas de vulgaires poseurs.
“DWANKY means.. well fuk… u wudn’t want sum1 2 call u a DWANKY wud u?
Dwankyz r fukn wack coz dey DWANK da hole time.. DWANKING iz 4
dwankiez… but me… I DON’T DWANK”
Petit hommage à la chanson française dans le prochain morceau, avec une reprise du fameux Sea, Sex and Sun de ce cher Gainsbourg, un morceau qui fait peut-être parti des plus faibles de l’album, et qui à part crier un petit Cocorico ne ressort pas vraiment du lot.
Pause mignonne, avec le morceau Moon Love repris de l’album de MaxNormal.TV Good Morning South Africa, morceau consistant en une discussion sur l’amour entre Ninja et sa petite fille Sixteen Jones. L’album se clôture sur le morceau éponyme, un morceau sombre sous forme de prière et qui apporte une belle conclusion à cette décharge de violence et de fun qu’est Donker Mag
May my enemies live long so they can see me progress
Die Antwoord, phénomène contre culturel qui peut paraître pseudo trash et poseur pour certains, mais qui font preuve d’une véritable sincérité comme l’on peut le voir lors de leurs performances scéniques qui envoient du très très lourd.
Et puis Yo-Landi, damn !!