Tout le monde connait Gainsbourg, reconnu par tous comme un des plus grands artistes de la chanson française. Initials BB, Bonny and Clyde, Sea Sex and Sun, Le Boomerang, La Javanaise, tant de classiques. Mais aurait-on tendance à oublier que le petit Lucien a bien du commencer avec d'autres titres ?
Souvent oubliés, les premiers albums de Gainsbourg ne cachent pas du tout le génie de leur auteur. Un génie qui n'est pas en puissance, mais déjà en acte. Âgé de 30 ans, le peintre raté est, forcément, dans une vision différente de ce que l'Histoire a retenu de lui. Pourtant, ne réalisons pas d'anachronisme et voyons ce que ce disque a à offrir. Disque Boris Vian a lui-même salué, inutile de dire qu'il avait une vision digne de son propre génie.
Ne possédant que 22 minutes sur 9 titres, Du Chant à la Une propose des thématiques déjà chères à Gainsbourg : l'humour, l'irrévérence, l'adultère, le jazz, la mort, la folie, l'alcoolisme. En réalité, la raison du génie de Gainsbourg vient peut être de son âge. A 30 ans, il possède la maturité de traiter de temps de sujets sans jamais tomber dans la simplicité.
On notera surtout la beauté sonore de l'album. L'Alcool par exemple offre une musicalité très intéressante qui permet de mettre en avant un discours d'alcoolique que Brel n'aurait pas renié. Gainsbourg fait dans la référence, que ce soit vers le classique ou le jazz. On notera Du Jazz dans le Ravin, titre sur-puissant où le jazz séduit sans limite. On soulignera le break de batterie et le solo de saxophone. Deux zones véritables géniales. On sent d'ailleurs que la chanson n'est qu'une excuse pour les musiciens.
Gainsbourg, en tant que compositeur sait où il doit mettre tel ou tel instrument. Il sait également accompagner ses thématiques noires de beaucoup d'humour. On retiendra ainsi La Femme des Uns sous le Corps des Autres. Petit et joyeux dans son air, ce titre qui alterne avec des petites douceurs lentes et des couplets digne d'un piano bar un peu plus rapide. Très drôle et bien construit, il s'agit sans nul doute d'un pur classique.
Dans la catégorie humour, Gainsbourg propose également de rire sur la situation étrange des déménageurs de piano. Ces hommes si forts, si costauds (bref, l'inverse même de Serge) doivent soulever des pianos qui eux, sont vu comme des instruments si doux. Sautillant, le son du piano ne cache pas pourtant la clarinette et surtout, le chant de Gainsbourg.
Gainsbourg propose également une petite balade douce, avec La Recette de l'Amour fou, où il donne des conseils à une femme pour séduire, avec dédain, les hommes et les faire ramper. On n'oubliera pas le somptueux Douze Belles dans la Peau où Gainsbourg rappelle également ses qualités de chanteurs. La ligne de chant est parfaite. N'oublions pas qu'avant de simplement parler, Gainsbourg a su maitriser le chant.
Mais derrière le rire cynique qu'il propose, Serge Gainsbourg offre aussi des titres très sombres sur la folie. On a déjà mentionné l'Alcool, mais il ne faut pas oublier le célèbre et fameux Poinçonneur des Lilas, toute première œuvre reconnue et jamais oubliée depuis. Le gain de la folie dans le travail, l'endormissement de l'espoir, la perte de l'intellectuel, tout est mis avec subtilité pour une montée au pays de la folie.
Mais on a également Ce Mortel Ennui sur la vie de couple sans saveur. Aurait-on un doute qu'un ado ou un jeune homme n'aurait su écrire pareil titre ? Gainsbourg montre ici sa maîtrise de la vie et des émotions humaines. Avec subtilité, Gainsbourg impressionne encore par son talent de parolier.
Ronsard 58 propose une variation de Quand vous serez bien vieille de Ronsard. Une belle idée, magnifiquement transmise. Le défis était de taille, Ronsard est, incontestablement, un des plus grands poètes français, arrivait à écrire une nouvelle version de son œuvre n'était pas évident, mais Serge Gainsbourg y parvient. Avec ce titre jazz presque rock'n'roll, Gainsbourg met déjà les bases de sa légende de poète maudit.
Si on connait Gainsbourg, on ne s'étonnera pas du génie de l'écriture. Mais si ce n'est pas le cas, on ne peut qu'être impressionné d'un premier album où il n'existe qu'une seule chanson où le texte n'est pas parfait (Du Jazz dans le Ravin) et qu'encore, ce n'est que pour mieux mettre en lumière une magnifique instrumentale.
Cet album de Gainsbourg, boudé à l'époque, ne doit pas l'être aujourd'hui. On doit comprendre, on doit saisir que le génie de Serge était là dès ses débuts.
Un disque parfait.