A la fin des années 70, Kiss est au bord de la rupture : ses membres ont de plus en plus de mal à faire coïncider toutes leurs idées pour faire avancer le groupe vers telle ou telle direction, si bien que chaque membre sortira un album solo dans son coin avant de s'atteler à la production d'un nouveau disque qui clora ainsi la série d'albums mythiques du groupe dans les années 70.
Autant le dire tout de suite, ce disque,"Dynasty", est très... mais alors vraiment très particulier... C'est un des rares disques sur lequel il m'arrive de changer d'avis ou de note régulièrement. Bien qu'il soit responsable d'une ascension planétaire pour le groupe grâce à un fameux morceau d'ouverture qui restera longtemps gravé dans les mémoires et sur les ondes radios : "I Was Made for Loving You", le fait est que la plupart des morceaux présents sur ce disque ne sont clairement pas du même gabarit et ne vieillissent pas tous aussi bien. En effet, ce fabuleux morceau, le plus connu (à tort) de leur répertoire, a tout pour lui : un rythme soutenu où la basse se fait dansante et la batterie légère, d'où la comparaison souvent quelque peu abusive avec une musique disco; alors oui le disco était très en vogue à l'époque, mais faut quand même pas abuser... ça reste du Kiss avec un solo (pour le coup pas très imposant) et un riff de guitare bougrement accrocheur, sans parler du refrain plus qu'entêtant et absolument mythique.
Bref, a priori ce disque est parti pour être un des plus grands disques de rock jamais réalisé et supplanter le reste de leur discographie... En tout cas ce n'est certainement pas le deuxième morceau qui remettra en cause cet a priori positif : "2000 Mans" est une reprise des Rolling Stones fort sympathique sur laquelle Ace Frehley nous livre un chant très accrocheur et s'approprie d'une bien belle façon ce morceau trop souvent mésestimé. Puis, vient le second tube de l'album et deuxième autre gros succès pour le groupe : "Sure Know Something" morceau sublime introduit par une ligne de basse particulièrement brillante avec au chant un Paul Stanley d'une justesse éblouissante. La version acoustique qui sera enregistrée plus tard dans l'unplugged de 95 vaut largement le coup d’œil, et met plus en avant le côté blues du morceau totalement absent ici pour laisser place à un côté plutôt "glam" avec un chant toujours doux/romantique comme sait le faire si bien Paul Stanley.
Après un début si alléchant on peut penser qu'on tient un sommet dans la discographie du groupe, et bien non. La suite de l'album va rompre brutalement avec cette douce illusion qui était pourtant si confortable jusqu'à présent. Non pas que le reste de l'album soit fondamentalement mauvais... mais il faut bien reconnaître que la suite n'est pas toujours très brillante. "Dirty Livin'" qui est ici le seul morceau chanté et composé par le batteur Peter Criss n'est pas un mauvais morceau loin de là, le rythme est entraînant et le chant toujours cassé et mélodieux. Pourtant, on a une légère impression de malaise quand on écoute ce morceau... est-ce lié aux chœurs en fond sonore ou à la production faussement disco/pop qui a sacrément vieillie contrairement à celles des albums précédents ? Il y a un peu de ça, mais aussi, il faut bien l'avouer, on sent une profonde lassitude et un gros ras-le-bol dans la façon dont le chant est livré ici, ainsi que dans les paroles où Peter Criss semble d'ores et déjà annoncer son désir de quitter le groupe... Ce qui arrivera peu de temps après que le disque soit complètement enregistré. Car "Dynasty" c'est aussi l'album de la crise pour le groupe : les tâches ne sont plus aussi bien réparties que par le passé. Peter Criss ne signe plus qu'un seul morceau et Ace Frehley en compose bien plus qu'avant. Par ailleurs ses morceaux sont souvent ceux qui sont les plus percutants et les plus réussis dans la suite du disque, à l'image d'un "Hard Times" qui renoue un peu avec l'esprit "Rock" des albums précédents.
De l'autre côté Gene Simmons et Paul Stanley font quelque chose de bien différent de ce que les fans connaissaient jusqu'à présent : ils offrent vraiment un son plus "pop" et dans l'air du temps que par le passé dans leurs morceaux. "Charisma" possède un rythme plutôt pop et est soutenu par des chœurs un peu... non sacrément kitsch en fait, le genre de morceau qu'il faut être dans une humeur bien particulière pour apprécier. Sans parler de "Magic Touch" où Paul Stanley en fait un peu trop niveau chant "doux" si bien que l'on pourrait rapidement qualifier ce morceau de mièvre si on ne se montrait pas un tantinet ouvert d'esprit... le morceau n'étant pas particulièrement aidé par son rythme lent et son riff un peu pataud.
"Dynasty" est bel et bien particulier à plus d'un titre : il offre le début d'album le plus brillant de toute la carrière du groupe avec en prime un tube planétaire qui bien que fantastique divisera les fans : les uns accusant le groupe d'avoir vendu son âme pour faire du commercial, les autres appréciant ce renouveau leur permettant de faire découvrir le groupe à leurs parents ou à des collègues pas forcément branchés "hard rock". D'ailleurs, à compter de ce disque le statut du groupe change radicalement : l'image de groupe peinturluré et sulfureux (accusé même à tort de satanisme par certains chrétiens fanatiques et fous furieux) semble avoir pratiquement disparue, les parents viennent même avec leurs enfants assister aux concerts d'un groupe qui fait à présent office de divertissement familial bon marché. Et c'est là le problème de ce disque : cette plus grande ouverture commerciale offrant pour la première fois des titres plus pop avec un son dans l'air du temps n'est pas une direction musicale que le groupe semble avoir souhaitée à l’unanimité et qu'il ne maîtrise pas encore totalement, d'où la présence pour la première fois de morceaux à la qualité légèrement inégale et qui sont essentiellement la volonté des deux têtes pensantes du groupe (Paul et Gene). Les deux autres (Ace et Peter), absorbés par l'ennui et leurs problèmes de drogues, ne tarderont pas à mettre les voiles l'un après l'autre.
Néanmoins, on ne peut pas nier que cet album possède une volonté de renouveau rafraîchissante sans laquelle ils auraient peut-être finit par lasser une partie de leur publique. Bien qu'imparfait cet album contient d'excellents morceaux et de bonnes idées qui ont permis au groupe de toucher un plus large public. Bien qu'étant en crise artistique le groupe connaît toujours ici ses années de gloire qui ne tarderont pas à s'éteindre brutalement avec l'album suivant "Unmasked" qui ne sera clairement pas réussi en revanche... Le groupe reviendra avec un line-up à moitié reconstitué avec l'excellent et heavy "Creatures of the Night" mais peinera à attirer à nouveau l'attention de nombreux fans déçus. Et, par la suite, il lui faudra enlever son maquillage et faire de nombreux efforts pour se faire à nouveau remarquer et regagner la popularité durement acquise durant ces glorieuses années 70. Sans doute en aurait-il été autrement si le groupe n'avait pas pris cette orientation dangereuse avec cet album ? Personne ne pourra jamais le savoir. "Dynasty" est le manifeste d'un groupe en crise dont les tensions et le malaise sont encore perceptibles lors de son écoute après toutes ces années... rien que pour cette expérience artistique ce disque vaut toujours le détour et demeure en définitive un disque plutôt bon.
Chronique écrite le 28 mai 2014