Que le très sélect label allemand Lado ait choisi de signer un sextet du Nebraska, endroit plus réputé pour ses ploucs en chemise de bucheron que pour le raffinement de sa musique, a de quoi interpeller. Tout comme la voix pleureuse d'Eli Murdock qui évoquera immanquablement celle de Robert Smith. Eagle Seagull est un groupe définitivement à part et pas seulement dans son Etat reculé. Sur la longueur d'un album protéiforme et inventif, la musique de Eagle Seagull ne ressemble vraiment à aucune autre. Même à y regarder de plus près, chaque morceau est lui même original, comme si de loin, on n'en voyait qu'un bloc homogène pour découvrir au microscope une structure plus complexe. Prenez Heat it/Feel et sa rythmique implacablement post-punk. Et bien, à la moitié du guet, Eagle Seagull mue sa musique invariablement vers une brit-pop Blur-ienne. Enième volte-face d'un album qui pourra évoquer Cure dans son versant le plus débridé (y compris The Glove) ou Arcade Fire, autre maître en créativité musicale ; Hawksley Workman pour cette joyeuseté au piano. Les Eagle Seagull peuvent être roublard (Hello never) ou s'afficher comme de grands sensibles (Death could be at the door). Ils leur arrivent à jouer les va-t-en guerre pop avec rythmique martelée et frise mélodique pour finalement toucher le comble de la tristesse d'un détour de la voix ( It's so sexy). Ils peuvent même devenir un véritable rouleau compresseur rock avec piano et guitares fonçant droits devant... avant s'arrêter en si bon chemin pour se faire une halte Pink Floyd-ienne. Dans ces moments là, un voile noir tombe sur ces lumineux, comme s'ils étaient rattrapés par leur moi intérieur. C'est vrai que Lock and Key, ouverture d'album tout en retenu, sorte de Lou Reed sous morphine, pouvait nous alerter que les Américains pouvaient être sombre. Près d'1 heure plus tard, on se dit qu'on tient là un des artistes (terme non usurpé pour une fois) à l'Univers complet des plus inventifs depuis Arcade Fire.