Je sirotais ma troisième bière bien peinard dans ce bar un rien classieux, un rien crasseux, un rien cosy. Pourtant de l'extérieur rien ne laissait présager un endroit chaleureux. C'était une petite rue de Toulouse comme tant d'autres. La couleur rouge des briques de nombreuses devantures contrastait et écrasait les teintes "ciment triste" de quelques bâtiments plus récents. Les trottoirs malpropres en cette fin d'après midi attendait avec impatience la venue des éboueurs et des motocrottes qui pourraient enfin donner à l'ensemble et malgré quelques graffitis épars mais non dénués d'une certaine finesse artistique à la mensuel Charlie l'aspect d'une rue dite civilisée. Malgré la promesse d'une amende pouvant aller jusqu'à 450 € pour tout jet de déchets, déjections animales et autres mictions la saleté était là, accompagnée dans certaines encoignures d'une petite odeur légérement piquante mais modérément gênante. Les passants passaient dans la grisaille de dix-sept heures affairés, le front plissé par les tracas de la journée humant sans s'en soucier les fumées opaques d'échappements de divers calibres allant de la mobylette au petit camion de livraison en passant par le SUV standard du petit bourgeois citadin qui n'a que ça pour se la pêter. Certains mêmes n'avaient pas assez des polluants et augmentaient la dose en têtant sans y croire comme on tire sur une vieille mamelle vidée leur clopeau blanchâtre. Bien sur les vélos étaient de plus en plus nombreux et l'on voyait ainsi tous les styles débouler : du sportif de la ville, du bobo, de l'étudiant au sourire béat et bien sur de l'UBER convoyeur de pizzs, Subway, Mac Do... pour quelques euros.
Heureusement à l'intérieur je me sentais mieux, moins écrasé par la ville son agitation et son vide et gentiment bercé par l'alcool ou était-ce les manières douceureuses du serveur qui semblait faire un effort en ma présence je me fondais comme un caméléon triste dans la déco lounge. Je décidais de passer la vitesse supérieure et commandais une boisson plus forte. Je ne sais pas pourquoi mais le sourire du loufiat qui me servit m'apparut empreint d'une certaine hypocrisie et me mit mal à l'aise...un peu plus. Je ne le regardais plus, étalais mes coudes sur le comptoir lustré par des générations d'ivrognes et me concentrais sur la couleur hypnotique de mon Martini Gin tout d'abord puis lentement je glissais sur la musique qui suintait de baffles dissimulées dans le plafond. Une pop bizarre un peu déstructurée, trompettisée, sculptée par des synthés et xylophonisée portée par deux voix féminines un peu "cold" qui lançaient de manière répétitive des mélopées tout droit venus de Vénus ou d'une planète peuplée de robotoïdes me berça, m'accompagna en cette fin d'après midi un peu morne qui annonçait une nuit douloureuse.