Merci, ce fut fort chouette ! Stereolab se construit sur un choix qui me séduit toujours, mêler textes anglais, et surtout français, à une instrumentation assez diversifiée, qui aligne guitares électriques, batterie, violons, ou orgue (aimer Michel Legrand, moi ? Je ne vois pas de quoi vous voulez parler). Dommage, toutefois, que le parti-pris instrumental ne se tienne pas de manière suffisamment cohérente ou affichée. Chaque morceau s’articule généralement de façon assez indépendante au sein de l’album, la cohérence restant alors à trouver du côté de la diction, du texte, et de la voix de la chanteuse. Si l’on prête attention aux accroches des différents morceaux, on s’aperçoit qu’une bonne moitié d’entre eux débute par un choix de timbres très différents, lancés comme pour surprendre l’auditeur, mais dont l’écoute se solde par une pointe de lassitude. Peut-être l’album aurait-il gagné à resserrer ce florilège. Quand il est à court d’instruments, ne lui resterait-il plus dans sa besace musicale que des arrangements de type dream-pop ou pop-rock assez dépourvus d’originalité ? Certains morceaux, surtout vers la fin, portent trace de cela : le début de Emperor Tomato Ketchup, qui ressemble fortement, par exemple, aux premiers accords de l’éolien Mr Blue Sky ; les guitares qui grésillent sur OLV 26 ; les guitares tout court sur Tomorrow is already here.
Les morceaux que j’ai préféré sont ceux qui se rapprochent le plus de l’easy listening tel qu’on peut l’entendre dans certaines mélodies d’Henry Mancini ou de Quincy Jones, écouter à ce sujet la BO, par exemple, de Rien ne sert de courir. Ou un morceau tel que le thème de La panthère rose ou Summer in the City. Le plus exemplaire à cet égard dans Emperor Tomato Ketchup étant Percolator, de par l’usage de la batterie qui se module doucement en arrière-plan avec l’usage de timbres plus ponctuels de type vibraphone (ou alors ressortissant de l’électronique). Dans la même optique, les morceaux sont souvent soutenus par de délicieux chabadabada ou lalalalala. Ces voix musicales rythmées et jetées donnent le ton, entraînent l’auditeur sur un rythme assez enlevé. Sans les cuivres, toutefois, qui donneraient au tout une ambiance davantage jazzy, pourtant présente ici et là en filigrane. Les claviers joueraient peut-être dans ce morceau le rôle de remplaçant, replaçant ainsi le tout dans le sillage de la pop.
C’est qu’en effet la multitude d’influences dont relève le groupe (je n’ai parlé ici que de l’easy listening - pas des rythmes plus exotiques du début des Yper-Sound - et je crois que je ne connais pas du tout la krautpop, mais j’irai fouiller, merci Lu’) leur permet de jouer avec l’usage de leurs instruments, quand ça ne se meut pas en vague fourre-tout, critiqué amèrement au premier paragraphe. Dans Cybele’s Reverie, un moment assez long, à partir de 1:38, est consacré aux cordes synthétiques qui ont enrobé dès le début le morceau d’une couleur plus lyrique. Elles se transforment pourtant peu à peu, même rythme, mêmes notes, mais le timbre évolue vers un son de plus en plus électrique, puis grésillant. Le procédé se répète ensuite. Jeu avec les instruments et les timbres, donc, qui se construit sur leur enchaînement déguisé, et confère une atmosphère assez ensorcelante au morceau. Sa continuité vers Percolateur est ainsi bien assurée, à l’aide de ces guitares grésillantes (je ne suis pas fanatique), qui créent une certaine cohérence, toutefois trop discrète à mon goût.
Comment parler de charme et d’obsession sans évoquer le timbre et l’intonation de la voix de la chanteuse? C’est pour moi l’atout phare de l’album. Elle va parfois jusqu’au bout de son souffle (Cybele’s reverie), fait sonner les refrains légèrement de côté, en acceptant la dissonance, va de plus en plus haut. La voix est bien présente et pourtant en voie d’extinction (je pense par exemple au titre principal). Lucid, je te conseillerais bien d’écouter les titres d’Elli et Jacno, « Toujours les souvenirs » et « T’oublier ». La dissonance y est davantage revendiquée, mais je rapproche tout de même les styles de voix ; c’est si fragile, et si léger que ça finit par grincer, à l’opposé de toute naïveté, presque comme dans un film d’Éric Rohmer, mais je vois que je vais finir par m’égarer. Et n’oublions pas le superbe Why should I cry, où l’on entend aussi Elli chanter en anglais.
Venons-en, textes et choix des langues. On a l’habitude de différencier chansons en anglais ou en français, le français correspondant à un plus grand travail sur le texte. Pourquoi pas. Le texte de Metronomic Underground, ou de Why Should I cry, est plus répétitif et/ ou davantage fondé sur les sonorités que celui de Toujours les souvenirs ou d'Emperor Tomato Ketchup. Cependant, je trouve que les deux langues, dans l’album, sont utilisées de façon relativement similaire, l’évocation par l’association et la répétition me paraissant la figure la plus récurrente. Je préfère bien entendu les textes français, plus originaux, plus beaux, surtout sur des rythmes groovy - les paroles de Monstre Sacre, par exemple, sont assez oubliables - à l’exception majeure de Metronomic Underground, et de cette répétition hâchée de crazy/ sturdy/ stable/ torpedo. « A torpedo » y est en effet assené de façon à ce qu’on le transforme en un autre mot, du style « Ator Pedo ». Bref, personnellement, il ne m’en faut pas plus, avec le petit vibraphone derrière et la batterie, et ce grandiose tapadam.
Belle découverte donc, je regrette seulement que les morceaux pas trop pop-rock (j’aime beaucoup la pop-rock moi pourtant, ne nous méprenons pas) soient si rares, et que les sons électroniques visant à dynamiser le tout soient si nombreux. Ma théorie ? Moins de guitares électriques, moins besoin, donc, de compenser le côté conventionnel de la chose avec de l’électronique. Par contre, violons synthétiques, batteries, vibraphones, chabadadada et textes français tordus, ils peuvent y aller à fond les barriques.