Vous vous souvenez certainement des tubes de l’été concotés par TF1 il y a quelques années. La plupart d’entre eux étaient recouverts d’un vernis world grossier, et régulièrement accompagnés d’un clip utilisant sans vergogne les clichés les plus honteux de la culture concernée. L’un d’entre eux s’attaquait aux Indiens d’Amérique Latine : plumes, perruques nattées noires et flûte de pan de rigueur ; ambiance de pacotille, soit, drôlerie involontaire soit. Mais un certain malaise pointait derrière cette déprimante tentative de faire danser le beauf coûte que coûte, en tentant de lui faire oublier les habituelles hausses de tarifs des timbres et de l’essence sans plomb. D’abord parce qu’elle traînait dans la boue des traditions ancestrales de peuples hier et aujourd’hui brimés, et ensuite parce qu’elle rappelait indirectement ces expatriés qui bradent ces mêmes traditions, les leurs, pour quelques pièces dans les capitales mondiales.
Eh bien, près de dix ans après, on nous refait le coup du grand chaman, de la musique zen bon marché, mais cette fois ci sous couvert d’un label indépendant, et d’une certaine crédibilité (remix assuré par les justement adoubés Fuck Buttons), ce qui est sans doute encore pire : sous entendu, le mal s’infiltre partout ! Tous les ingrédients sont ici réunis pour essayer (en vain, vous l’aurez compris) de nous faire vibrer au son d’une musique ambient vulgaire : on ose encore la flûte de pan (guère plus valable que celle que l’on entend place de la Concorde à Paris), on assaille nos tympans de synthétiseurs aux filtres progressifs soi-disant planants, on surprend des voix pitchées sensées représenter, on imagine, les chœurs d’une tribu traditionnelle.
Pour être franc, Fever Ray commence son trip sous (mauvais) acides tranquillement, l’air de rien. Certainement pour ne pas effrayer l’auditoire. La première partie de l’album est même plutôt fidèle à une électro-ambient efficace : mélodies minimales, beats discrets, basses profondes… Mais prise de risque zéro : l’endormissement n’est pas loin. Cependant quelques jolies voix (dont certaines sont ostensiblement synthétiques) se marient curieusement et séduisent quelque peu l’oreille. « If I Had a Heart », « Dry And Dusty » et « Concrete Walls » notamment ont indéniablement quelque chose d’attirant ; peut-être ce côté « freak », bâtard (un sérieux intenable, marié à des sons complètement dépassés) dont on ne saura jamais si cela tient d’une naïveté à la Kounen ou d’un énième degré salutaire.
Mais les ennuis sérieux commencent avec « Triangle Walks » (référence au foot ou à une éventuelle tradition Apache ?). Percussions synthétiques horribles, sons eighties rappelant le pire de la décennie, mélodies affligeantes de facilité, lorgnant vers les abominables Best Of World Music et autres compilations de supermarchés… On est abasourdi. Dès lors, on guette le moindre faux pas, la moindre faute de goût évidente : les chœurs too much (« I’m not Done », inaudible), et la fameuse flûte donc (« Keep The Streets Empty For Me »)… Peter Gabriel, qui a tant fait (on pourrait même dire lutté) pour la musique traditionnelle du monde, comme des gens comme Dead Can Dance doivent se ronger les ongles en ce moment.