Filth Pig
7.2
Filth Pig

Album de Ministry (1996)

4 ans...c'est le temps qu'il aura fallu à Ministry pour pondre un successeur au colossal "Psalm 69" qui a imposé le groupe de façon définitive parmi les cadors du genre. Entre temps beaucoup de choses ont changé dans le paysage rock...et pas seulement pour Ministry. En 1994, la mort de Kurt Cobain a sonné le glas d'une bonne partie de la scène du rock alternatif...le grunge dépérira petit à petit dans les années suivantes, le metal quant-à lui ne cesse de se radicaliser jusqu'à devenir underground pour la majeure partie du publique, et le rap semble petit à petit devenir la musique à mettre en avant à l'aune du 21ème siècle. Cette même année un concurrent (de poids) Marilyn Manson fera son petit effet dans la catégorie metal indus avec son flamboyant "Antichrist superstar" produit par Reznor...le jeune loup excentrique aidé par le patron de l'indus semble ainsi hors de portée et écraser toute concurrence possible de par son absence de sobriété qui le rend clairement plus "remarquable" que les gars du ministère.


Néanmoins, Ministry a beau posséder une certaine sobriété (seulement scénique) comparé à un certain Manson...il n'en demeure pas moins que sa musique a toujours dépassé de plusieurs têtes celle de ses suiveurs "Psalm 69" restant à ce jour indépassé (à part peut-être par "The downward spiral" de NIN ce qui n'a rien d'honteux). Créateur d'un son, d'un genre...un génie tel que Al Jourgensen ne pouvait se contenter de reproduire les mêmes recettes à chaque album et faire un "Psalm 70" surtout lorsque son humeur n'est plus vraiment au militantisme politique mais à l'introspection personnelle...son divorce et ses GROS problèmes de drogues semblent avoir influencé en bonne partie la musique présente ici. Beaucoup plus lent, beaucoup plus lourd, mais aussi moins "violent" et déjanté que son grand frère, "Filth Pig" a été boudé à sa sortie tant par la critique que par les fans qui, visiblement, s'attendaient à autre chose (une redite sans doute?). Qu'importe en tout cas, car depuis, l'album a été réécouté et réévalué en conséquent...et il apparaît ainsi comme un des tous meilleurs disques de Ministry...son oeuvre la plus personnelle et quasiment la plus aboutie.


Le premier morceau "Reload" avait presque de quoi brouiller les pistes : avec son riff acéré et acide qui vous agresse les oreilles et son rythme robotique couplé aux vociférations de Al...rien de nouveau sous le soleil étions-nous tenté de penser. Mais lorsque débarque aussi sec le morceau titre alors là c'est une toute autre paire de manche! C'est une vraie bourrasque qui nous amène dans un trip lourd et dantesque...la basse est d'une lourdeur écrasante et insuffle un rythme pachydermique qui ne sera jamais totalement délaissé sur le disque : "'LOURD" étant l'adjectif le plus adéquat pour le décrire. Avec une voix menaçante mais (pour une fois) sans hurler Al Jourgensen nous emmène dans une torpeur nihiliste dans laquelle le dégoût de soi semble renvoyer à l'expression "Porc crasseux". La guitare est discrète et par sa lenteur contribue à créer une ambiance de plomb absolument magistrale tandis qu'un solo d'harmonica très inspiré vient se mêler à l'ensemble. Loin de la frénésie et de la violence pure du précédent album, Ministry semble donc opter ici pour une approche plus "rock" et plus "musicale" serait-on tenté de dire...le tout n'en demeure pas moins très musclé et surtout très poisseux.


Ainsi, "Lava" par sa lourdeur a quelque chose de particulièrement sale et hypnotique à la fois...ce morceau porte bien son nom car il donne extrêmement chaud! La voix de Al n'est plus qu'un souffle rauque et étouffé, tandis que par moments celle-ci se met à alterner avec des phrasés totalement déjantés...le riff de guitare très simpliste n'en demeure pas moins très efficace malgré la lenteur extrême du rythme. "Lava" est en tout cas un des morceaux essentiels du disque et un trip complètement barré qui vous donne l'impression d'aller droit en enfer...à moins que cela soit dans un asile de fous? La lourdeur et la lenteur reste de mise sur des titres sentant "bon" la déprime : "Useless" complainte languissante et à la limite du macabre sur laquelle Al Jourgensen se dit "Brainless and useless" tandis que des chœurs fantomatiques dérangeants viennent nous prendre à la gorge passé la première moitié du morceau. Il en va de même pour "The game show" qui n'a jamais été ma préférée du disque à cause de sa longueur...néanmoins chaque décharge de guitare électrique semble sur ce morceau être un coup porté au chanteur que ce dernier doit s'efforcer d'encaisser.


Ces moments lents et glauques sont légèrement "aérés" par des morceaux plus frontales et plus "rock" dans leur approche "Crumbs" très simple mais efficace, et surtout le génial "Dead guy" possédant un riff de guitare véritablement badasse et sous-estimé en plus d'une frappe nucléaire à la batterie! C'est néanmoins dans les morceaux "lents" que les plus grands sommets du disques sont atteints...et notamment sur "The fall" point de non-retour dans la noirceur et dans la carrière du groupe puisqu'il s'agit ni plus ni moins (selon moi) de la meilleure composition de Ministry à ce jour. Très peu présente, la guitare s'efface derrière des bruits inquiétants et un rythme totalement écrasant...tandis que Al Jourgensen chante son indifférence à l'égard du monde extérieur...la seule chose capable de le tirer de sa torpeur étant "de voir les autres tomber" : "Welcome to the fall" scandera le chanteur de façon répétée vers la fin du morceau. Le tout est ponctué par une ligne de piano totalement chaotique en apparence et pourtant...mélodique, tout comme le refrain principal qui reste en tête...oui oui..Ministry signe ici une mélodie et incroyablement envahissante en plus! Chaque minute passée à écouter ce morceau renforce le sentiment d'impuissance et de dégoût qui traverse le chanteur et nous parvient directement...c'est certainement le morceau le plus nihiliste jamais enregistré dans l'histoire de la musique à ma connaissance et le sommet du groupe arrivé à son art : l'aura gothique des premiers albums a totalement épousé la lourdeur et le tranchant des nouvelles productions du groupe pour un résultat magistral...et glaçant!


L'album se conclut sur "Lay lady lay" une reprise de Bob Dylan largement supérieure à l'originale (ce qui n'a rien de miraculeux en apparence puisque la chanson n'est franchement pas un classique de son répertoire) où la lourdeur est toujours de mise mais où la mélodie (une fois encore) semble primer sur celle-ci. Enfin, "Brick windows" rompt avec l'habitude qu'avait pris Ministry à terminer ses albums sur des instrumentaux...il s'agit ici d'un morceau de pur indus légèrement robotique et assez aérien qui termine le tout sur une touche de fraîcheur assez souvent absente sur l'ensemble du disque.


En bref, "Filth Pig" vous l'aurez compris, est un autre chef d'oeuvre de la discographie de Ministry..."l'autre" album à posséder absolument avec "Psalm 69" il est même davantage recommandable que ce dernier pour ceux qui préféreraient une musique un peu plus "posée" et moins rageuse...bien que l'ensemble soit vraiment loin d'être "mainstream" et accessible à tous. La suite de la carrière du groupe sera quelque peu chaotique...Al Jourgensen devra entreprendre de se désintoxiquer, se séparera (pour des raisons que je ne connais pas) de son fidèle collaborateur (et bassiste du groupe) Paul Barker, sortira un album très moyen ("The dark side of the spoon" que je n'ai pas très envie de chroniquer tant l'ensemble demeure décevant), se fera virer de son label "Warner" (plus assez vendeur), et mettra longtemps avant de revenir à un niveau à peu prêt satisfaisant...on peut éventuellement sauver "The last suker" sorti en 2007 par exemple mais le butin est bien maigre passé les années 90 où Ministry a véritablement exposé tout son génie et son savoir-faire musical.


Reste que les six premiers albums de Ministry sont de superbes disques...est-ce de la new wave, de la pop, du metal industriel, du thrash, du rock bien lourd? Ministry c'était et ça restera tout cela à la fois...un groupe hautement créatif et dont l'étiquetage paraîtra souvent réducteur tant ce dernier a révolutionné le metal et a su se réinventer pendant plus d'une décennie...un groupe monstrueux de par sa musique et son talent, voilà ce que doit demeurer Ministry dans les mémoires!


L'intégrale sur Ministry s'achève donc (temporairement) ici jusqu'à ce que j'ai envie de prolonger un peu plus l'ensemble de leur discographie (mais la suite ne m'en donne guère l'envie). Voilà donc, comme de coutume, les notes données aux albums :


-With sympathy : 15/20
-Twitch : 16/20
-The land of rape and honey : 17/20
-The mind is a terrible thing to taste : 19/20
-Psalm 69 : 20/20
-Filth Pig : 20/20


Merci aux rares qui auraient pris la peine de lire cet intégral et à bientôt pour un autre groupe sans doute plus connu et populaire...

Venomesque
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le 22 avr. 2018

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