Berlin, 1984. Pur produit de l’Allemagne de l’Ouest, Alphaville réussit pourtant sur leur premier opus, Forever Young, à dresser un pont entre deux cultures séparées par un mur. Plus encore, le groupe y repousse avec brio les limites du synthétique, jusqu’à faire éclore une forme de pureté au sein d’une décadence machinique et fluo typiquement eighties.
Leader et chanteur caméléon, passant d’un registre de baryton-basse au soprano en un tour de main, Hartwig Schierbaum a choisi comme nom d’artiste Marian Gold. On pourrait en rire mais il faut reconnaître que, jusqu’à ce pseudonyme en toc, le rêve américain, immaculé, s’immisce dans chaque recoin de Forever Young :des thématiques (jet-set, éternelle jeunesse) en passant par le look (coiffures choucroute) jusqu’à la langue utilisée, l’anglais (pour mémoire, à l’époque, Peter Gabriel, lui, traduisait ses paroles en… Allemand). La voix de Gold, féérique,est à la fois le symbole de cette culture assimilée et le contrepoint humain de ce disque aux couleurs artificielles, joué par des instruments robotisés aujourd’hui joliment rouillés.
Chez Alphaville, de faux orchestres symphoniques côtoient des rythmiques trop raides pour être honnêtes. Mais peu importe, le groupe atteint sur Forever Young un tel niveau de songwriting qu’il s’en dégage une belle intensité émotionnelle, qui n’est pas sans rappeler l’italo disco décomplexée du Bach for Computer de Carlos Futura (des œuvres célèbres de Bach adaptées de façon minimaliste au synthétiseur). Marian Gold serait accompagné par des instruments naturels, nul doute que Forever Young n’aurait pas le même impact aujourd’hui : c’est cet alliage contre nature de machines programmées et d’aspirations romantico-mélancolico-kitsch qui confère à ce disque sa patine magique.
L’Alphaville de Forever Young représentait vraiment la guerre froide vue de l’Ouest, une alliance de sainte nitoucherie américaine et de matériel musical rigide : Marian Gold versus des synthétiseurs et autres boîtes à rythme désormais obsolètes. Que ce disque soit sorti en 1984 est évidemment ironique au regard du livre d’Orwell et de son actualité dans le contexte géopolitique allemand à l’époque de la sortie de Forever Young. En 1989, le mur tombait ; moment où, belle coïncidence, Alphaville s’éteignait artistiquement.