Forever Young
7.6
Forever Young

Album de Alphaville (1984)

Berlin, 1984. Pur produit de l’Allemagne de l’Ouest, Alphaville réussit pourtant sur leur premier opus, Forever Young, à dresser un pont entre deux cultures séparées par un mur. Plus encore, le groupe y repousse avec brio les limites du synthétique, jusqu’à faire éclore une forme de pureté au sein d’une décadence machinique et fluo typiquement eighties.

Leader et chanteur caméléon, passant d’un registre de baryton-basse au soprano en un tour de main, Hartwig Schierbaum a choisi comme nom d’artiste Marian Gold. On pourrait en rire mais il faut reconnaître que, jusqu’à ce pseudonyme en toc, le rêve américain, immaculé, s’immisce dans chaque recoin de Forever Young :des thématiques (jet-set, éternelle jeunesse) en passant par le look (coiffures choucroute) jusqu’à la langue utilisée, l’anglais (pour mémoire, à l’époque, Peter Gabriel, lui, traduisait ses paroles en… Allemand). La voix de Gold, féérique,est à la fois le symbole de cette culture assimilée et le contrepoint humain de ce disque aux couleurs artificielles, joué par des instruments robotisés aujourd’hui joliment rouillés.

Chez Alphaville, de faux orchestres symphoniques côtoient des rythmiques trop raides pour être honnêtes. Mais peu importe, le groupe atteint sur Forever Young un tel niveau de songwriting qu’il s’en dégage une belle intensité émotionnelle, qui n’est pas sans rappeler l’italo disco décomplexée du Bach for Computer de Carlos Futura (des œuvres célèbres de Bach adaptées de façon minimaliste au synthétiseur). Marian Gold serait accompagné par des instruments naturels, nul doute que Forever Young n’aurait pas le même impact aujourd’hui : c’est cet alliage contre nature de machines programmées et d’aspirations romantico-mélancolico-kitsch qui confère à ce disque sa patine magique.

L’Alphaville de Forever Young représentait vraiment la guerre froide vue de l’Ouest, une alliance de sainte nitoucherie américaine et de matériel musical rigide : Marian Gold versus des synthétiseurs et autres boîtes à rythme désormais obsolètes. Que ce disque soit sorti en 1984 est évidemment ironique au regard du livre d’Orwell et de son actualité dans le contexte géopolitique allemand à l’époque de la sortie de Forever Young. En 1989, le mur tombait ; moment où, belle coïncidence, Alphaville s’éteignait artistiquement.

Francois-Corda
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes (ré)écouté en 2021, Les meilleurs albums des années 1980, Les meilleurs albums des plus belles voix, Les pochettes d'albums les plus moches et Magik CDtek

Créée

le 3 janv. 2019

Modifiée

le 10 juin 2024

Critique lue 220 fois

François Lam

Écrit par

Critique lue 220 fois

D'autres avis sur Forever Young

Forever Young
Phae
7

Give me more tragedy, more harmony and fantasy my dear

Set it alight ! Souviens-toi de quatre-vingt-treize. Non, je ne te parle pas du livre d’Hector Hugo, mais bien de l’année 1993. Si tu te souviens bien, cet été-là, j’étais partie en Angleterre. Tu...

Par

le 18 déc. 2013

3 j'aime

Forever Young
beathi
9

UN DEBUT PROMETTEUR

Premier album du groupe de synthpop/rock allemand Alphaville, Forever Young est sorti le 27/09/1984. Tous les titres sont écrits et composés par Bernhard Lloyd, Marian Gold et Frank Mertens. Cet...

le 8 mai 2019

1 j'aime

1

Du même critique

Traum und Existenz
Francois-Corda
7

Critique de Traum und Existenz par François Lam

Surprenante cette association entre Rebeka Warrior et Vitalic ? Pas franchement, et à bien des égards. D’abord, Rebeka Warrior est une familière du monde de la techno avec Sexy Sushi depuis des...

le 10 mai 2019

7 j'aime

Civil War
Francois-Corda
5

Critique de Civil War par François Lam

En interview dans le numéro d’avril de Mad Movies, Alex Garland se réclame d’un cinéma adulte qui ne donnerait pas toutes les clés de compréhension aux spectateurs, à l’instar du récent Anatomie...

le 21 avr. 2024

5 j'aime

The Telemarketers
Francois-Corda
8

My name is Patrick J. Pespas

Les frères Safdie, producteurs de The Telemarketers, ont trouvé dans Patrick J. Pespas l'alter ego parfait de leurs personnages aussi décalés qu'attachants créés dans leurs longs métrages de fiction...

le 3 nov. 2023

4 j'aime