"Je préfère comprendre les gens qui comprennent que je ne les comprends pas."
Cet album est problématique.
Plus qu'aucun autre du groupe, c'est un album attachant. Il possède une personnalité forte, foutraque et décalée, qui le rend à peu près unique. Du punk sans l'être tout à fait. Les Têtes Raides retournent au style de leur début, en rajoutant une touche de chanson française, et surtout en essayant à peu près tout et n'importe quoi avec une insouciance charmante.
Ça fonctionne parfois merveilleusement bien. Quand ils mettent en musique un poème de Boris Vian, par exemple, c'est absolument parfait. Il y a Lové-moi aussi, très impressionnante dans son allure de chanson qui s'effondre sur elle-même, un véritable rouleau-compresseur musical avec quelques moments de brève respiration. Il y a aussi des chansons pas totalement réussies mais diablement intéressantes, comme De Kracht, un poil redondante mais qui remet à l'heure pas mal de groupes qui voudraient faire des chansons violentes et torturées.
Le problème, c'est que l'album compte également des chansons affreuses, qui gâchent véritablement l'écoute. En premier lieu, « We Gonna Love Me », parodie de la rock-star beaucoup trop grossière pour fonctionner, avec en prime un accent anglais à couper au couteau. Il y a aussi « Les Animaux », beaucoup trop naïves pour être honnête. Il y a le cas « Latuvu », aux allures de comptine ; je n'arrive pas à me décider si je l'aime bien ou si elle m’énerve affreusement ; sans doute un peu des deux en fait.
Sur ces 3 exemples, les paroles tranchent radicalement avec la douce poésie surréaliste qui sert plus ou moins de liant à l'album ; ou alors tentent de s'y raccrocher artificiellement, sans grande réussite. Du côté musical, même topo : ces chansons sont bien moins riches que le reste de l'opus, comme si les Têtes Raides tentaient de contenir leur folie pour livrer des chansons punk ou folk plus classiques, mais sans structure, sans rythme, sans mélodie, sans rien pour accrocher l'auditeur. Des chansons joyeuses et festives qui semblent feintes.
Fragile est l'archétype de l'album inégal, de l’œuvre qui s'égare, qui se retrouve, qui va voir ailleurs puis qui revient. Son hétérogénéité met en valeur certaines chansons au détriment d'autres, moins originales, moins rythmées, ou tout simplement ne correspondant pas à nos attentes. Les Têtes Raides fonctionnent beaucoup selon ce principe, avec des chansons en tête d'affiche, qui cachent plus ou moins le reste de l'album. Sur certains opus, cela marche bien, sur Fragile je trouve que c'est dommage, car il possède une identité, un style à part, et des morceaux plus homogènes auraient permis de mieux y plonger ; tandis que là, on reste sur la touche, la sauce ne prenant que pour un temps très court.
Ceci dit, ne vous méprenez pas, l'album, même s'il n'est pas totalement réussi, reste une expérience inédite, et vaut largement le coup d'oreille. Quant au mot de fin, je le laisse au groupe, décidément talentueux pour les petites phrases absurdes et magiques :
« Je comprends que les gens qui comprennent que je ne les comprends pas, je les comprends. »