Après un premier album brouillon et qui se cherche encore, le métamorphose est ici terminée, le papillon (de nuit, énorme, velu et à tête de mort) s’envole. Les gars vivent ensemble dans une bicoque qu’ils nomment Fun House, d’où le titre de l’album. En anglais Fun House désigne un genre de palais des glaces qu’on peut trouver dans toutes les fêtes à neuneux de nos campagnes profondes. Imaginez le groupe en colocation. Forcément, cela devait mal finir.
Fun House, c’est d’abord un rythme de batterie simple martelé jusqu’à l’écœurement. Ensuite la ligne de basse en remet une couche. Nous avons là une section rythmique en boucle monomaniaque et psychotique. Le guitariste riffe ou prend des solis d’électrocutés parkinsoniens. Le pope crie, il n’y a pas d’autres mots, possédé comme un enfant sauvage découvrant pour la première la « civilisation » et cela le rend fou.. Les limites techniques du groupe nous disent ceci : certes, nous ne sommes pas des virtuoses mais ce que nous faisons, aussi simple que cela puisse être, nous le faisons bien, et en mettant toutes nos tripes sur la bande.
Cet album est rouge, rouge sang, rouge flamme. Rarement la pochette d’un album aura été en si parfaite adéquation avec son contenu. Si l’illustration de leur premier effort ressemblait à une copie bas de gamme de celle des Doors, avec celui-ci, ils tapent dans le mille, jusqu’au visage coupé par le cadre de ce qu’on devine être un enfant. Ainsi et pour l’éternité les Stooges sont rouge comme le Velvet fut violet.
Et puis vint Dirt. Le tempo s’apaise mais pas la folie ambiante. Durant le refrain, le groupe s’envole plombé par le rythme pachydermique. C’est paradoxale mais c’est comme ça, comme un ballon dirigeable qui s’élève vers le Ciel ancré à la Terre et faisant le lien entre les deux mondes comme une échelle de Jacob auditive. Nous n’évoquerons pas ici les paroles, quasi métaphysiques de l’iguane.
1970 en guise de gimmick après 1969 sur le premier album. Nous rêvons de ce que les Stooges auraient pu faire comme chanson-almanach : 1971, 1972, 2001, 2020,… Et puis le sax dément sur la fin de 1970. Personne ne s’y attendait en 1970. Encore aujourd’hui, pour ceux qui ont la chance d’écouter pour la première fois ce vinyle incandescent (et nous le envions pour ça), cela doit leur faire bizarre.
Oserons évoquer les mots de free jazz ? Le jazz est une musique que nous confessons connaître très peu. Le free jazz nous évoque une folie musicale et c’est bien ce qu’on entend sur 1970 et sur les titres suivants quand le sax prend un solo. Steve Mackay, car c’est lui dont nous parlons, est l’auteur du crime. Pour l’anecdote, sombrant peu à peu dans l’anonymat après cette galette, il devient dans les années 90 électricien et beaucoup le croit mort et enterré depuis longtemps. Tel un vieux bluesman du delta, on finira par retrouver sa trace et il rejouera comme au bon vieux temps.
Avec ce sax, c’est comme ci le groupe s’était dit : tout ça c’est bien joli (et bien joué) mais ce monolithe acoustique, ce mur de bruit, est-il suffisant ? Ne pouvons nous pas pousser le bouchon encore plus loin ? Alors le pope pense à ce sax et le reste est entré dans l’histoire.
Et pour finir l’album, donnons leur cinq minutes de bruits improvisés et qu’ils aillent tous se faire cuire un œuf. Si après ça ils en redemandent, nous ne pouvons plus rien pour eux.