Comme la grande majorité de la population mondiale, j'adore Arcade Fire, et plus particulièrement Funeral. L'énergie que dégage ce disque ne s'explique pas, elle se ressent, le plus souvent d'une manière incroyablement intense, d'une force sans commune mesure lors des premières écoutes, quand la révélation s'empare de notre esprit pour ne plus nous lâcher : cette musique nous devient vitale, à un point inimaginable.
Tout résonne d'une manière totalement différente quand on écoute Neighborhood #1 (Tunnels). N'ayons pas peur des mots, le monde semble transformé, transcendé par une énergie viscérale qui a été captée de manière miraculeuse par le groupe. Le plus grand mystère de Funeral reste cette aura presque mystique, la force vibrante de la musique, comme si le groupe étaient constamment sur le fil du rasoir, comme si sa vie en dépendait, comme s'il jetait ses dernières forces dans la bataille pour atteindre un état de grâce absolu, à la fois instable car instinctif et sublime car transperçant de vérité et de sincérité.
On pourra toujours reprocher au groupe d'en faire trop, à Win Butler de crier plus que de chanter, de faire parfois dans le grandiloquent, mais même pas, tant l'urgence déborde de tous les côtés, sans aucun calcul et surtout avec un sens mélodique tétanisant. En tout cas je n'ai jamais ressenti avec un autre album ce que j'ai pu ressentir avec Funeral, ce qui indique, à mon sens, à quel point ce disque est unique et possède une atmosphère, une alchimie sans équivalent.
Certes, une fois passés la claque et l'émerveillement, les petites faiblesses du disque ressurgissent par-ci par-là. On finit par repérer les chansons qui tiennent surtout grâce à leur énergie fracassante et qui manquent un peu de magie (Laïka et Power Out), et l'ensemble ne paraît plus aussi monolithique et parfait. Mais l'album contient quelques-unes des plus belles chansons des années 2000, voire tout court, et cela se vérifie à chaque écoute.
Tunnels est un chef-d’œuvre absolu, en état de grâce permanent, d'une perfection totale, comme j'en ai rarement vu et entendu. Ce morceau représente à lui seul l'essence de Funeral, avec cet art de la rupture maîtrisé, cette implosion constante de sentiments et de vitalité qui tient debout et s'envole toujours plus haut dans le grandiose et dans le lyrisme, tout en restant si touchant et émouvant, sans aucune sorte de pathos.
Wake Up est l'autre perle du groupe, dans un registre un peu plus rock et ramassé (ce riff !), mais ce n'est que pour mieux nous faire planer avec des choeurs venus d'une autre planète qui accompagnent une guitare renversante lors d'un pont sublime. Ma petite chanson préférée reste cependant Haïti, avec la voix de Régine Chassagne et ses airs de comptine ludique qui dissimulent des paroles dures. Et In The Backseat est un final à la hauteur de l'album, d'ailleurs c'est le morceau qui m'a permis d'appréhender la magie de Funeral.
Le disque est tellement expansif qu'il est paradoxalement peu évident à aborder, et ce sont les saillies mélodiques, simplement belles et transperçantes comme In The Backseat qui facilite la compréhension de l'univers d'Arcade Fire. Par la suite, c'est quand la beauté mélodique se mélange à l'énergie échevelée et rageuse que le groupe touche son idéal et transcende sa musique. Funeral est indéniablement un des albums le plus marquant des années 2000 et un immense album de rock.
Si l'on devait choisir un représentant de cette période je pense que ce disque serait en bonne place. Qui d'autre sinon (enfin personnellement ce serait plutôt Black Letter Days, mais je parle aussi du côté fédérateur, symbolique) ? Le résultat tient à ce point du miracle que le groupe n'est pas prêt de recréer une œuvre pareille. La voie empruntée par le groupe a clairement montré un désir de se renouveler et de se détacher de l'héritage de Funeral, ce qui fait que cet album restera à tout jamais sans équivalent.