Je l'avoue, je n'avais jamais entendu un seul morceau d'Oneohtrix Point Never, le nom d'enregistrement qu'utilise Daniel Lopatin, un américain assez obscur dont les productions sont pourtant nombreuses ces dernières années. Alors, lorsque j'ai aperçu Garden of Delete parmi les tous meilleurs albums de l'année selon les noteurs acharnés de Rateyourmusic, je ne savais pas à quoi m'attendre, d'autant plus que les tags qui lui sont associés (Glitch, Progressive Electronic) n'étaient pas très clairs et honnêtement ne m'attiraient pas plus que ça. J'ai en effet beaucoup de mal avec la majorité des albums de musique électronique sortis récemment, souvent estampillés de ce type de tags, dont les tentatives d'expérimentation ou d'abstraction sonores me perdent souvent. Personnellement, je reste un grand amoureux de l'IDM d'Aphex Twin ou de Kettel, souvent très mélodique, assez accessible, et déjà Autechre je m'en méfie clairement. Cette pochette "dark" et ces noms bizarres ne faisaient qu'accentuer ma méfiance.
Si j'avais su, pourtant, que j'allais alors découvrir l'un des plus grands albums de l'histoire de la musique électronique, je me serais senti très con. D'ailleurs c'est toujours un peu le cas. Car Garden of Delete est un monument. Il est très rare que dès la première écoute d'un album je sois immédiatement conquis par la musique et pourtant ici ce fut le cas. Après une intro anecdotique, Ezra se lance, premier morceau d'une incroyable aventure dans les méandres de l'électronique, et tout de suite c'est une avalanche de sons. Ce qui est fou avec cet album c'est que malgré sa grande versatilité et ses nombreuses bizarreries sonores, l'ensemble est particulièrement cohérent. Ezra par exemple est un grand mélange de samples vocaux, glitchés, découpés et disséminés au sein d'une musique déstructurée mais cette piste est en même temps fascinante et contient une émotion indescriptible qui m'a troublé dès la première écoute.
Il en est de même pour à peu près tout le reste de l'album. Certains morceaux sont remplis d'une énergie débordante et d'une créativité jouissive (Sticky Drama ultra rythmée ou la fascinante évolution de Mutant Standard) tandis que d'autres sont plus mesurés mais possèdent une aura et une sorte de mélancolie très troublante (Child of Rage en ce sens est sans doute le meilleur morceau de l'album, mélodique, touchant et en même temps inquiétant...).
La production est vraiment impressionnante. Le son est parfait, très profond. L'espace sonore est rempli sans être oppressant, David Lopatin n'en fait quasiment jamais trop (excepté peut être dans le pourtant très apprécié I Bit Through It qui de mon point de vue est pourtant le morceau le plus faible si l'on exclue les interludes) et l'ensemble est fascinant, réellement.
Rarement je n'ai entendu un album de musique électronique aussi organique, jamais froid et artificiel, malgré le nombre de sonorités glitchesques qui pourraient nous faire sortir de l'univers que développe le compositeur. Et lorsque No Good se lance pour conclure l'album, son calme et sa tristesse sont comme un point d'orgue à un merveilleux voyage. D'une efficacité déconcertante malgré sa complexité musicale, je vous avoue que j'ai du mal à partager réellement avec vous les émotions qu'il m'a fait ressentir, mais je peux le dire, Garden of Delete est l'un des tous meilleurs albums de ces dernières années, rien que ça.