Que voilà une pochette qui m’a toujours intrigué.
Mi fascinante, mi étrange, mi laide. Parfaitement représentative de la montée technologique qui accompagne les années 80, les années fric, les années synthétiques, les années Reagan. On pourrait croire à des chiffres annonçant un compte à rebours secret, il n’en est rien, ce sont les visages de nos trois gus, Stewart Copeland, Sting, Andy Summers.
Stewart est à la batterie et il sait diablement cogner. Juste avant il était dans le groupe de rock progressif Curved Air (1) pour les albums « Midnight wire » (1975) et « Airborne » (1976). Autant dire qu’il connaît la chanson et comme son père travaille à la CIA on est en droit de penser que le choix du nom de groupe est un sympathique doigt d’honneur adressé à son paternel. Sting (dont le véritable nom complet est Gordon Matthew Sumner) est à la basse et au chant et après un bœuf de près de deux heures, Stewart sait que c’est le bon. Andy Summers est le plus expérimenté des trois et tient la guitare à la place du mort, euh pardon, de Henry Padovani, français d’origine, premier guitariste du groupe qui s’est très vite fait éjecter. Mais de cela on en reparlera si on doit évoquer le premier album du groupe (2).
A la base The Police se devait d’être un groupe de rock progressif.
Mauvais calcul, l’époque a relégué le prog aux oubliettes si ce n’est aux chiottes (et ça froisse mon petit cœur de progueux, croyez-moi). Il faut dire que dans la fin des années 70, le prog est comparé à un dinosaure (le terme provient de Robert Fripp, guitariste et tête pensante de King Crimson, l’un des groupes de rock prog les plus innovants qui soient, c’est dire l’ironie !), le punk débarque (avec même dedans parfois d’excellents musiciens très techniques (3)… ce qui contredit l’essence du « do it yourself » du punk où tout le monde était remis à niveau, ironie encore) et bientôt les synthés avec les groupes jouant dans des stades immenses. Pas de problème, The Police sera un groupe de punk-rock. Sauf que les choses n’ont jamais été simple au vu du talent des 3 gars et le groupe aura tout le long de sa courte mais intense carrière navigué aussi bien en territoire punk que rock que reggae que world-music que finalement prog grâce à l’état d’esprit de constamment innover et manier les petites trouvailles.
Après deux albums parfaits aux mélodies imparables prouvant avec panache que le trio savait composer d’excellentes compos (4), le tempo commence à ralentir, l’édifice s’ébranler lentement. Les tournées incessantes liées au succès grandissant, le fait que chacun commence à se tourner autour et à se regarder en chien de faïence en pensant déjà à de futures brillantes carrières solo (5). Bien qu’imparfaits les albums à venir vont avoir à la fois du bon et du moins bon et ne sont pas nécessairement des purges comme j’ai parfois pu le lire ici et là. Quitte à me faire l’avocat du diable, après « Zenyatta Mondatta » l’année précédente, voici donc ce « Ghost in the machine » en 1981.
Première constatation, le synthé fait son entrée dans le groupe. A l’écoute de la production énorme de Hugh Padgham, futur producteur 80’s aussi bien de Genesis que Phil Collins en solo (6), on pouvait s’attendre au pire. Mais non, le trio garde la tête froide et ne dispense la froide machine que sur quelques pistes, se concentrant avec sagesse sur le son rock percutant qui a fait sa noblesse. Dès la première piste, « Spirits in the material world » (un titre éminemment raccord avec celui de la pochette), le synthé est utilisé très mélodiquement comme on utiliserait un accordéon, bon point pour un très bon morceau d’ouverture.
« Every little thing she does is magic » en seconde piste continue de nous emmener vers l’excellence. Malgré des passages souvent incessants à la radio (quand je l’écoutais y’a longtemps mais je doute que certaines stations aient vraiment changé huhu) qui auraient pu nous en dégoûter, justement non, cette compo marche toujours autant du tonnerre. La batterie, le piano, la guitare, le chant de Sting, merde quoi, c’est ce qu’on appelle un classique. Surprise, « Invisible sun » juste après nous emmène en territoire cold-wave, une plaisante surprise pour un groupe hors de sa zone de confort.
Et puis patatras !
La grosse chute. Celle d’Icare après s’être brûlé les roubignolles par le soleil.
Sting chante en français. « J’AURAIS TOUJOURS FAIM DE TOI ». On était dans la romance sur Every little thing… Là on a l’impression que l’on se tape le gros boulet de harceleur dans le métro qui te poursuit… Hé madmoiselle ! Madmoiselle ! Ziva, j’aurais toujours faim de toi, vazy quoi, lâche ton 06 ! » Non je caricature. M’enfin c’est risible de bout en bout. Et quand tu dis que « Tu as mangé son sang » est-ce que c’est parce que tu te prends pour un psychopathe vampire Sting ? Ou alors tu kiffes faire des bisous bien langoureux en bas quand les anglais ont débarqué ? Je m’interroge sur cette chanson et ces paroles quand on connaît les thèmes des autres chansons (par exemple "Roxanne" sur le premier album parlait... d'une prostitué. Et donc censure directe huhu avant que le titre ne devienne un hit à juste titre plus tard).
Et la dégringolade continue et ce ne sont pas les cuivres sur les 6mn de Demolition man qui vont sauver le ventre mou de l’album (7). Ventre mou où la production s’uniformise hélas un peu trop au détriment des compos, ça n’aide donc pas. « Too much informations » et « Rehumanize yourself », on s’endort un peu et ce ne sont pas des titres qui vont nous faire la morale aussi vite (le Sting amoureux des grandes causes planétaires commencerait-il déjà à pointer le bout de son nez ?). « One world » nous refait le coup du reggae façon The Police, raté on connaît déjà, la sauce prend plus mais on remonte la pente déjà.
Et soudain dans les 3 derniers titres, The Police se relève brusquement de la boue et s’assume fièrement et ça redevient passionnant. C’est « Omegaman » qui vire New-Wave avec Summer qui nous délivre un jeu abrasif de guitares à la Robert Fripp sur fond de mélodie attractive et super énergique. C’est « Secret journey » avec ses 45 premières secondes ambiant ( !) avant de nous délivrer une pure ballade à la Police qui n’en oublie pas d’inclure dans son final le passage ambiant du début (c'est brillant). Enfin il y a la mélancolique et désenchantée « Darkness », pleine de nostalgie et signée Copeland qui achève l’album sur une note finale assez bonne.
Bref du bon et du moins bon, une moitié de disque fabuleuse, une autre moins. Mais comme je disais plus tôt, au vu du niveau des titres on est loin du désastre et l’on repart avec les bonnes choses encore en tête, enfin, dans les oreilles.
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(1) Je n’ai écouté que le « Phantasmagoria » de 1972 du groupe mais pour tous les adorateurs de prog, vous pouvez y aller c’est de la bonne.
(2) Premier album indispensable qui, comme le second, se doit d’être dans toute bonne discographie d’amoureux du rock.
(3) Television et les 7mn de Torn Curtain ainsi que les 9mn58 de Marquee Moon dans l’album du même nom, fabuleux. On entre en territoire de prog-punk-new wave là pour le coup.
(4) Rien à jeter sur les excellents « Outlandos d’Amour » (1978) et « Reggatta de Blanc » (1979).
(5) Par la suite, Copeland livrera de passionnantes bandes originales de film. Sting se tournera sur la carrière de musicien populaire et le cinéma que l’on connaît (en 83, DUNE de David Lynch bien sûr). Summers jouera avec son idole et ami Robert Fripp pour 2 albums en commun en 1982 (« I advance masked ») et 1984 (« Bewitched ») avant d’également voler en solo de ses propres ailes.
(6) Vous remarquerez que l’on ne reste jamais très loin du rock progressif dans cette chronique et l’histoire du groupe, comme quoi hein.
(7) Pour la petite anecdote rigolote, on retrouvera ce titre au générique de fin du film bourrin de 1995 avec Stallone et Snipes. J’adore le film mais j’ai jamais fait gaffe, c’est dire le niveau de cette chanson hein. Elle est pourtant pas dégueu mais quand on connaît les débuts du groupe je sais pas, perso ça marche moins sur moi, j’y trouve pas autant d’énergie que je le voudrais, pardon.