Depuis dix ans maintenant, Ladytron gagne ses galons petit à petit, sans génie mais avec un sens du travail et de la réflexion que l’on devine extrêmement rigoureux. D’ailleurs, depuis leur troisième et excellent album Witching Hour (2004), les quatre anglais, adeptes d’une dance robotique macabre et rigide, avancent prudemment, au rythme d’un disque tous les trois-quatre ans. Le puissant Velocifero (2008) semblait être l’aboutissement de cette conscience artistique plus formelle qu’aventureuse : Ladytron reste peu ou prou le même depuis 604 (2001), mais en étant meilleur chaque fois. Plus concis, plus précis, tout simplement plus efficace. Mais c’était sous-estimer le quatuor : Gravity the Seducer, entre autres parce qu’il se permet une petite bifurcation, est un pas de plus gravi vers la cime, où trône le modèle du disque parfait.
Le principe du disque parfait, c’est que rien n’est laissé au hasard : pas de longueurs, aucune fausse note (au propre comme au figuré), une tracklist aérée, équilibrée, et sans aucun doute qui suscite un plaisir renouvelé à l’écoute. A la différence d’une œuvre dont les auteurs ont pris des risques, où la folie peut prendre une place suffisante pour engendrer le génie, ce truc qui fait qu’on a affaire à une œuvre réellement singulière. Ladytron ne joue pas dans cette catégorie. Il est impossible de savoir dans quelle mesure le groupe a conscience de cette limite… Cela n’empêche pas de les aimer. Parce qu’ils ont une identité propre, immédiatement identifiable, mais aussi parce qu’ils avancent petit à petit, discrètement, mais sûrs et conscients de leur force. Qui est grande.
Dans Gravity the Seducer, on sent que cette force s’est muée pour la première fois en une envie de faire quelque chose de légèrement différent. Comme dans les précédents opus, ce sont les deux filles de ce groupe mixte qui donnent le ton avec leurs voix jumelles, éthérées et presque robotiques. A ceci près que la musique qui accompagne ce chant lunaire semble aujourd’hui beaucoup moins agressive, presque en apesanteur. On trouve désormais dans les synthétiseurs une grâce, une élégance qui étaient jusqu’alors absentes. Certainement par choix d’ailleurs : leurs priorités se trouvaient plus, avant ce nouvel album, dans une forme de sévérité qui associait beats énormes et sons de claviers agressifs.
Ce ne sera donc pas insulter Ladytron que d’affirmer qu’on trouve désormais dans leur musique un supplément d’âme. Car bien qu’ils s’évertuent, depuis longtemps maintenant, à souffler un vent glacial sur de mornes plaines synthétiques, c’est peut-être cette beauté qu’ils touchent désormais du doigt qui leur permettra de jouer enfin les vrais premiers rôles.