Tomber, pour à chaque fois se relever. Ou plutôt rester debout. Voilà une phrase qui saurait décrire parfaitement la carrière des légendaires Rolling Stones, que l’on ne présente plus. Une consommation abusive d’alcool et de drogues, des arrestations par le passé, des membres du groupe ayant trouvé la mort : name it. Mais non, rien de tout cela ne les arrête. On retrouve encore ces papis du rock toujours debout, toujours vaillants, désireux d’offrir de nouveaux morceaux jusqu’à plus soif. À sortir un disque similaire tous les ans, on traiterait (à juste titre) les Rolling Stones de radoteurs. Au contraire, faire paraître un premier album original après près de 20 ans de disette construit cet événement, crée une réelle ferveur entourant la sortie de Hackney Diamonds.
Ce 24e opus du groupe anglais s’inscrit dans la lignée rollingstonienne et ne réinvente pas la roue de l’ancien quatuor devenu trio. Et n’est-ce pas pour le mieux? Des riffs classiques à la patte de Keith Richards, un son gras, une basse percussive, un Mick Jagger encore survolté du haut de ses 80 ans. En réalité, un néophyte croirait entendre une compilation des chansons méconnues de la carrière des Rolling Stones, tant les morceaux de Hackney Diamonds reprennent les codes et l’essence première du groupe. Sans qualifier le caractère de contemporain, on ressent tout de même une certaine volonté de passer sur les ondes des radios actuelles durant les premiers morceaux, particulièrement dans le simple Angry paru le mois dernier. Les mélodies les plus inspirées du disque n’y sont pas retrouvées, un penchant pop est à remarquer, sans aucun doute à la suite des interventions du jeune réalisateur Andrew Watt, ayant collaboré entre autres avec des musiciens comme Ozzy Ozbourne ou Dua Lipa. La tendance se renverse dès le quatrième morceau avec Bite My Head Off, qui est davantage abrasif que le premier quart de Hackney Diamond en comptant sur des guitares mordantes et saturées. On note un invité de marque sur la piste : Paul McCartney, éternel rival commercial des Rolling Stones. On note, mais plutôt dans les crédits. Sans être au courant, compliqué de savoir qu’un musicien aussi légendaire que le bassiste des Beatles est présent dans l’album tant son intervention s’avère plus anecdotique qu’autre chose (tout comme les passages d’Elton John ou de Stevie Wonder dans l’album). Dommage.
Dans un registre différent, Lady Gaga s’offre la collaboration la plus marquante de ce nouvel opus des Stones sur Sweet Sounds of Heaven, et de loin. L’influence blues atteint son paroxysme, les performances vocales et instrumentales également, tandis que le chant de Lady Gaga sur le 11e titre de l’album a été comparé à la fantastique séquence de Merry Clayton sur Gimme Shelter. Un rapprochement flatteur, puisque ce classique de Let It Bleed s’inscrit probablement au titre de la meilleure chanson du groupe. Sweet Sounds of Heaven se détache quant à lui comme un excellent et mémorable morceau, l’unique du disque qui pourrait possiblement rejoindre le rang des chansons mémorables de la fin des années 60 et du début des années 70. Hackney Diamonds se clôture sur une reprise d’une composition de Muddy Waters, à qui le groupe doit son appellation. Les Stones optent pour une qualité de son médiocre assumée, des rythmes de delta blues ainsi qu’un harmonica simpliste durant la création de Rolling Stone Blues : à croire que le titre provient d’une vieille bobine enregistrée dans le flat de ces vilains rockeurs sur Edith Grove. La boucle est bouclée. Enfin, pas réellement, Mick Jagger a récemment annoncé qu’un nouvel album est déjà en préparation. Infatigables.
Les notes semblent divisées dans les médias à travers le globe, alors que ce melting pot des Stones ne saurait satisfaire les deux écoles de mélomanes à la fois. Certains y voient de la paresse, d’autres de la nostalgie, tous s’accordent pourtant que, à cet âge avancé, lancer un album qui se tient de bout en bout relève de l’exploit. Un peu comme… bien comme personne d’autre auparavant, aucun groupe ne peut se targuer d’une telle longévité, d’être restés unis contre vents et marées sur six décennies. Un exercice qui sera difficilement répliqué. Vous n’écouterez probablement pas Coldplay ou Imagine Dragons sur les planches dans 40 ans. Assurément, en fait.
Et pour un (très) jeune rédacteur comme le vôtre, qui écoute des Sympathy for the Devil, Paint It Black, des Gimme Shelter ou Angie depuis l’aube de son adolescence, appréciant grandement sans être un fan absolu, on retrouve un sentiment particulier qu’est celui de voir les Stones faire paraître un nouvel opus en 2023. Enfin du nouveau matériel, enfin la possibilité de le vivre en direct, de faire partie de ce mouvement. Enfin la chance de se sentir comme nos parents qui attendent une sortie de cette poignée d’indémodables rockeurs anglais. Que la bouche puisse tirer sa langue encore des années durant.
[Ma note originale sur Le Canal Auditif : 6.5]
https://lecanalauditif.ca/critiques/rolling-stones-hackney-diamonds/