Il y a quelque chose de magique et de terrifiant dans l'univers de Billie Eilish, étonnante et complexe personnalité qui n'a pas vraiment demandé à être là où elle est aujourd'hui et jouir d'une telle réputation. L'artiste pop féminine américaine (mondiale?) probablement la plus cotée à même pas vingt ans a déjà inscrit sur ses précédents EP et LP la plupart de ses maux au service de petites bombes musicales planétaires. Que l'on aime ou non la production tout en boum boum de son frère ainé Finneas, impossible de nier ici l'incroyable tessiture soul de sa voix, tout en murmures sensuelles et chuchotements torturés ou menaçants, soupirs et cris balancés à nu sur son pieu depuis sa demeure familiale.
Consciente de ses bouleversements physiques et moraux, accentués encore plus par son succès toutes plateformes confondues (réseaux sociaux, cérémonies genre Grammys, ventes pléthoriques), Billie Eilish poursuit son introspection et se relève de ses cauchemars du précédent LP pour se confier de nouveau à son parterre de fans qui n'attendaient qu'une chose : ça fait quoi d'être la plus grande de la scène pop?
Brillant, hypnotisant, souvent touchant, Happier Than Ever a cette sincérité finalement un poil ironique qui fait aussi bien dresser les poils que danser : my future pourrait résumer les qualités intrinsèques de ce déjà grand album de jeunesse. Derrière cet apparent bonheur, la production sait être parfaitement anxiogène comme sur Oxytocin et sa transe qui irait bien avec les images de boîtes de nuit chez Gaspard Noé, épurée mais non moins acide sur Billie Bossa Nova, électro-minimaliste à la Say You Will (Kanye West, 808s & Heartbreak) sur Getting Older, dont les murmures quasi parlées annoncent la teneur artistique de l'album. Contrairement au premier album, il flotte ici une sensation d'équilibre. Les arrangements sonores et le beat de certains morceaux épousent les états d'âme de l'artiste qui se confesse au creux de notre oreille, sans jamais être loin de se défendre (Not My Responsability, le très Eno et bouillant OverHeated ). C'est pas impudique, mais elle balance un peu tout ce qu'elle ressent la petite et ça peut conférer doucement au sublime (Male Fantasy).
Il flotte aussi une drôle d'atmosphère, au premier abord complexe, mais mieux équilibrée et définie que sur When We All Fall Asleep. Everybody Dies, pas joyeux, nous propulse dans les nuages. C'est nébuleux à souhait et pourtant hyper séduisant à l'instar de Your Power et son acoustique simple comme bonjour. Question de dosage, d'effets maîtrisés. Pas de grand tube à l'horizon, les radios vont rager un chouille. Juste cette voix ample, jonglant au travers d'émotions empilées à la pelle sur pratiquement une heure d'écoute accrocheuse, arachnide, agressive, trouvant sur chaque morceau un peu de beauté et de grâce même lorsque la tempête approche à grands pas et que les fréquences se brouillent (NDA). Confirmation artistique totale, Happier Than Ever enterre gentiment ses concurrentes tant est qu'il y en ait.