Cet album est souvent rangé sur la même étagère que les albums psychédéliques. Et à juste titre : en plus d'être sorti en plein âge d'or du mouvement, en plus d'être abrité par une pochette qui, certes, par son sujet, évoquerait plus un quelconque groupe counrty qu'un cousin du Jefferson Airplane, mais qui nous viole tout de même gentiment la rétine avec ses couleurs flashy, cet album a le bon goût de ne pas lésiner sur les expérimentations et envolées mélodiques un tantinet planantes. Mais la longueur des morceaux, laissant libre cours à des solos de batteries endiablés ou des vrombissements de guitare peu communs place cet album aux marges du mouvement.
Car contrairement à ses collègues, le Quicksilver Messenger Service (double hommage à Mercure et au Pony Express, que l'on retrouve justement sur cette pochette) nous propose une embardée sauvage à travers le désert américain. Après ingestion de la dose minimale de LSD tout de même, rassurez vous. Et un désert, c'est chaud et c'est long à traverser, ce que le Vif Argent retranscrit parfaitement. Le but n'est pas du tout déguisé : il faut que l'auditeur puisse, où qu'il soit, sentir l'odeur du sable chaud, le soleil faisant suer ses tempes et les chaos dus aux grosses pierres que piétine son cheval imaginaire. Et pour cela, rien de tel que de longs solos de guitare sur des plages quasi instrumentales qui occupent presque tout une face de vinyle (oui moi perso je l'ai écouté sur Deezer, mais vos gueules !).
Et mine de rien, en se lançant gaiement avec entrain dans ces démonstrations techniques, le Quicksilver Messenger Service préfigure en quelque sorte tous ces guitaristes de hard rock casse-couilles qui confondent l'orgasme absolu d'un profond coït auditif avec une vulgaire branlette dans les chiottes d'une station service. Oui, mais là, ça marche, et je pense que la chaleur insufflée par les plaines ardentes de l'Arizona (le groupe est de San Francisco, mais ils font bien semblant) apporte une sensualité indéniable qui ne fait pas que sauver ce Happy Trails, mais le sublime.
Ce qui fait qu'un banal album de reprises devient un grand disque du rock acide. Il faut dire que les chansons originales sont assez méconnaissables : le Who Do You Love de Bo Diddley s'étale sur toute la première moitié, si bien qu'on entend les paroles et mélodies originales qu'au début et à la fin. Le reste, c'est du rajout instrumental et interminable par le guitariste Gary Duncan, mais bon sang que c'est bon. Une chanson totalement réinventée, réappropriée par un groupe plus ambitieux qu'il n'y paraît.
Les autres pistes s'enchaînent dans le même registre, nous proposant une traversée plus que convenable en compagnie du cow-boy qui orne cette pochette. Et d'ailleurs, cette longueur, cette lourdeur, cette sensualité, cette profondeur désertique : plutôt que frères des groupes psychédéliques, je m'amuserais à spéculer (beaucoup) et à voir en ces San-Fransiscains des ancêtres éloignés du stoner de combos comme Kyuss. Mais je m'égare, au lieu de profiter pleinement de mon voyage, alors que j'arrive à destination. Je n'ai qu'une seule envie : repartir pour un petit tour jusqu'au prochain relais.