Il n'est pas évident de trouver la motivation pour sortir de nouveaux albums quand on est le plus gros groupe de métal de l'histoire et qu'on joue à guichets fermés dans les plus grosses salles du monde depuis plus de 25 ans. Lars Ulrich a toujours été un homme de défis qui refusait de faire ce qu'on attendait de lui, et Death Magnetic a été son premier vrai faux pas artistique. En effet, pour la première fois de sa carrière, la tête pensante de Metallica ne regardait plus vers le futur, et sur les conseils de Rick Rubin, il essayait tant bien que mal de retrouver la magie des années 80. Le résultat des courses fut un disque mal ficelé et mal produit, dans lequel toutes les chansons ressemblaient à un assemblage artificiel de riffs plus qu'à une vraie expression artistique. Huit ans plus tard, le batteur hâbleur et son meilleur ennemi tatoué ont promu l'ingénieur du son Greg Fidelman au rang de producteur, et le résultat des courses est un dixième album plus honnête mais toujours imparfait.


Vous vous souvenez de Load ? J'espère pour vous que vous aimez ce disque, car Hardwired to Self-Destruct semble être son héritier spirituel. La plupart des riffs ont un swing qui rappelle énormément l'album de 1996 : à 50 ans passés, Lars et James semblent avoir fait le deuil de leur période thrash, et après 15 années de déni, ils s'assument enfin comme étant un pur groupe de heavy metal. Certes, Hardwired et Spit out the Bone ont un côté plus rentre-dedans, mais ces deux titres font figure d'exceptions et ne représentent en rien le reste de l'album.


L'influence de Death Magnetic se fait également ressentir au niveau du mixage et de la structure des morceaux. La production est de bien meilleure qualité qu'en 2008, avec une basse plus présente et un mastering moins horripilant, mais les guitares ont une tonalité similaire et la batterie manque toujours autant de punch. Greg Fidelman est un ingénieur du son reconnaissable entre mille, et je trouve que son mixage froid et compressé ne convient pas à Metallica. On a beaucoup reproché à Bob Rock d'avoir trop simplifié leur musique, mais avec lui, les 4 Horsemen sonnaient comme le plus gros groupe du monde, même sur une petite chaîne hi-fi. Si Bob Rock cherchait à raccourcir les morceaux pour les rendre plus accessibles, c'est tout le contraire avec Fidelman : en effet, HTSD souffre du même syndrome que Death Magnetic, et la plupart des titres de ce nouveau disque tirent inutilement en longueur. Un bon producteur doit théoriquement être capable de discerner le bon du moins bon, et de dire STOP au groupe quand il fait fausse route. Peut-être Greg Fidelman est-il devenu trop proche de Lars et James pendant ces sessions qui se sont étalées sur 18 mois, mais force est de constater qu'il ne sait pas les arrêter dans leur élan quand ils proposent d'allonger encore et encore la structure de tel ou tel morceau.


En ce qui concerne la performance individuelle de chaque membre, il y a clairement du mieux par rapport à la période 2003-2008. Le jeu de Lars est moins brouillon qu'à l'habitude, et James chante de manière plus maîtrisée. Sa voix n'a plus la hargne des années 80 ou la tessiture des années 90, mais il ne surchante plus et nous épargne des moments embarrassants à la "Kill Kill Kill Kill… Kill KILL". Rob est égal à lui-même et se contente globalement de suivre James. Le principal, c'est qu'on l'entende, et mine de rien, c'est la première fois depuis 1998 qu'un album studio de Metallica n'est pas miné par un défaut majeur de production ! Vous l'aurez deviné, le maillon faible de la cuvée 2016 n'est autre que Kirk Hammett. De son aveu même, il est arrivé en studio sans avoir préparé le moindre solo, soi-disant pour garder une certaine spontanéité. Ben voyons… Le créateur d'Enter Sandman cache son manque d'inspiration derrière sa pédale wah-wah, et la plupart des solos sonnent comme des chutes de Reload. Je sais bien que cela n'a pas dû être facile de s'impliquer dans ces sessions après avoir perdu l'Iphone contenant l'intégralité de ses riffs, mais cela n'excuse pas tout. Kirk nous a habitués à l'imprécision en live depuis 2003, mais en studio, il faisait jusqu'à présent toujours honneur à sa réputation. Jamais Bob Rock n'aurait accepté un tel laxisme, et si vous en doutez, revisionnez le documentaire "One Year and a Half" qui relate l'enregistrement du Black Album.


Hardwired to Self Destruct va forcément décevoir tous ceux qui attendaient un album de thrash metal, mais il a le mérite d'être plus authentique que Death Magnetic. Lars et James ne se contentent plus d'empiler artificiellement le maximum de riffs pendant 8 minutes, et pour la première fois depuis une éternité, ils se sont efforcés d'écrire des morceaux cohérents avec un début, un milieu et une fin. Cela n'empêche pas quelques travers du passé de resurgir ça et là, et le deuxième CD est dans son ensemble beaucoup plus faible que le premier.


Correct sans jamais être époustouflant, ce double album qui tiendrait sur un disque standard rassure quant au potentiel créatif du groupe de San Francisco. Non, Metallica n'est pas encore mort, mais si Lars et James ambitionnent de publier un jour un nouvel album majeur, il leur faudra accepter de travailler avec un producteur intransigeant qui leur interdira de sortir un morceau dépassant les 6 minutes. Une chose est sûre aujourd'hui : cet homme ne s'appelle pas Greg Fidelman.

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le 17 nov. 2016

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