Grotesque, extravagant, audacieux, époustouflant. Tant d'adjectifs et synonymes pour décrire le dernier album de black midi.
IT'S OPEN, COME IN !
Dès leur premier single ''bmbmbm'', le groupe britannique a connu un succès dans la scène rock indépendante ne faisant que monter à chaque sortie. Au travers de Schlagenheim puis de Cavalcade un son étrange et unique s’est formé et affiné au fil de leur ascension.
Du premier album au groove mathrockien / noise au second aussi langoureux dans son aspect progressif qu'il est brutale. En somme, black midi a créé son propre espace sonore en se plaçant au côté des nouvelles têtes d’affiches du rock avant-gardiste (notamment leurs amis de Black Country New Road).
En cela, leur musique est bien difficile à décrire. Suffit d’écouter un titre pour comprendre que la catégorisation de progressif leur sied parfaitement. Dans le sens où ce serait une musique en constante évolution, mouvement voire réinvention d’elle-même. Avec Hellfire, le groupe repousse encore les cadres esthétiques pour imprimer leur marque au fer rouge d'un monde marchant sur la tête. Celui d’un enfer où vivent des personnages extravagants au sein de fables sur la perfidie et la cupidité humaine.
Avec le morceau-titre introductif, l’ambition esthétique grandiloquente se présente sous forme d'invitation au spectacle. Par la suite, le projet nous embarquera dans divers récits de meurtres et d'atrocités sous forme d’opéra épique. Le chant deviens la parole des personnages, la musique le cadre émotionnel. Plus ou moins la formule du précédent album qui, bien qu’il soit une réussite, a vu le son du groupe être parfois moins incisif. Comme l’explique le chanteur Geordie Greep, «Hellfire est un film d’action épique (…) tandis que Cavalcade était un drame ». Les protagonistes sont des « salauds » provenant d’expérience réelle exagérée, ce premier morceau viens donc lancer cette ambivalence humaine à un pas de la tombe et d'une énergie vitale.
DE TITANIC A MAD MAX
À l'instar de notre société prenant l’horreur du quotidien en spectacle à consommer, black midi ne perd pas de temps sur Sugar/Tzu enlevant tout soupçons d’assagissement musical. Fonctionnant comme un match de boxe suivant le meurtre de Sun Sugar en plein combat, l’esthétique carnavalesque du premier morceau se transforme en mélange de la langueur de Marlene Dietrich et la folie de John L, les deux premiers morceaux de Cavalcade.
« Posterity will show me to be the greatest the world has ever seen a genius among non-entities» -Sugar / Tzu
En soi, une version perfectionnée de la formule black midi, associant parfaitement la montée d’adrénaline du récit meurtrier au sentiment profond de l’acte par une crescendo musicale dément. De la batterie aux instruments à vent, tous se mettent au diapason des émotions selon les événements. Transcription jazz-rock d’un esprit déséquilibré en recherche funèbre de célébrité.
ARNAQUES, CRIMES ET BOTANIQUE
Un cri. Un souffle endiablé. L’énergie repart de plus belle sur Eat man Eat avant de se calmer dans une ambiance lancinante. Le morceau fonctionne par à-coups finement contrôlés entre le chaos ambiant et la douceur désespérée d’une fable d’empoissonnement. D'une pulsion de mort ou de vie, cette histoire de militaires trahis par leur capitaine fini dans une explosion vocale (la voix possédée de Cameron Picton) et musicale (l'anarchie assourdissante des trompettes).
Poursuivant une dynamique groovy, Welcome To Hell absorbe l’auditeur par des riffs violents sur le point de vue d'un capitaine traitant ces sous-fifres avec haine. Une variation des thématiques du morceau précédent pour un résultat encore plus chaotique, effréné et accompli passant du rock expérimental à des sonorités hard rock brutales. L’assurance vocale de Geordie Greep interprétant cette violence grimpante en fait un sommet de cette première partie d’album vertigineuse.
Pour calmer, ou au moins redescendre la tension, Still réussit l’exploit d’une ambiance mélancolique qui manquait aux précédents morceaux. S’accordant aux paroles d’un amoureux transi prenant conscience de la stupidité de ses actes. Il laisse sa dulciné heureuse loin de lui à la manière d’une balade de King Crimson (style I Talk to the Wind).
ACCIDENT EN COURS
Cet instant de beauté se voit brusquement coupé par un interlude radiophonique à la manière du concept-album, Songs for the Deaf de QOTSA. Reprenant une cadence instable mais jubilatoire, The Race is About To Begin n’attend pas pour atteindre un point limite de démesure musicale façon Frank Zappa. La musique devient un orchestre rock aussi précis qu’il semble hâtivement incohérent. Certains lâcheront l’affaire au moment précis où black midi encapsule toute la maestria de leur art, ce faisant au travers des mots volubiles de Greep surfant sur une instrumentalisation prête à exploser à tout moment. Proches du précipice, ses mélopées dans un calme bucolique retrouvé, livrent un poème d’une absurde harmonie.
« The clown can be a martyr. The whore can be an angel. The hack become a master. The crass become divine. » - The Race is About To Begin
La recette musicale sophistiquée entre temps faible et temps forts reprend sur Dangerous Liaisons. Conte sur la rencontre infortunée d’un fermier avec la tentation de fortune au prix d’un meurtre. Investigué par le Mal, Satan sous traits humains, qui pour le plaisir le mène à sa damnation éternelle. Le titre démarre sur une mélodie charmante, la tentation s’installe jusqu’à l’assassinat ou le vacarme musical advient cruellement. Après la médiatisation de son acte viennent les regrets, fermeture rideau sur le destin de ce personnage au destin corrompu par l’attrait irrépressible d’autodestruction.
BIENVENUE EN ENFER
Seul véritable moment (trop court) de douceur musicale, The Defence n’est pas dénué d’ambiguïté. Sur cette ballade lyrique, Greep en harmonie avec la virtuosité de l’instrumentale justifie son business de proxénétisme qu'il compare au système banquier et chrétien. Tordant la morale de l’exploitation comme une nouvelle forme de divertissement.
Liant les diverses thématiques du projet, 27 Questions reprend l’extravagance musicale de riffs détraqués et d’un piano hasardeux. La cacophonie montante du récit de Freddy Frost vient s’effacer lorsque, par magie, il chante une chanson au sein même de celle que l’on écoute. Les pensées aberrantes de Frost deviennent une envolée dans l’irrationnel exprimant des profondes incertitudes sur un avenir profondément sombre. Finalement, le morceau retourne au chaos du début laissant Frost mourir sur scène. Dernier acte d’une série de spectacles morbides critiquant l’attrait du public pour l’abjection.
Pour résumer, black midi va droit au but dans un album sans temps mort, à digérer et réécouter pour découvrir ses subtilités thématiques et sonores. Hellfire est plus qu’une réussite, c’est leur projet le plus complet. Une expérience musicale confirmant la hype d’un groupe à l’ambition artistique aussi démesuré qu’accompli.
Feu black midi ! Longue vie à Hellfire !
Article à retrouver sur Pozzo Live