Heritage par Benoit Baylé
Réfuté par certaines branches progressistes pour ses chants gutturaux, Opeth est, depuis sa création il y a maintenant plus de 20 ans, une formation qui dérange et fascine. Cette même fascination, savant mélange d'adoration et de répulsion, fédère chez les amateurs d'art développé une tentation qu'il n'est pas honteux d'assouvir. L'argument de vente principal, la grande force d'Akerfeldt, réside dans ce mysticisme médiéval, tel un Jethro Tull dépressif couplé aux plus violents des beuglements Death. Inhérente au groupe, excepté sur Damnation (2003), cette dernière caractéristique est la pierre d'achoppement qui retient le quintet d'atteindre les sommets progressifs qui lui sont destinés depuis ses débuts. Ainsi, lorsqu'il lorgne vers des contrées plus douces et mélancoliques, Opeth se réinvente, proposant un rock progressif de qualité aux dissonances recherchées, directement empruntées aux grandes heures des années 70. Années qu'Akerfeldt découvre en profondeur depuis son adolescence : loin de se limiter aux poncifs Led Zeppelin, Black Sabbath et King Crimson, il se lance à l'époque dans l'écoute approfondie d'obscures productions heavy psychédéliques et progressives, à l'instar de Zior, Frumpy ou Fraction.
Le travail fourni avec Steven Wilson sur Damnation fut remarquable : le mélange de leurs influences, toutes deux érudites et éclectiques, permettait la réinvention du style propre à Opeth, cette fois acoustique et purifié. Tout en gardant sa quintessence spéciale, le fameux son "Opeth". Inutile de préciser que les chants gutturaux phagocytent la beauté naturelle exhumée de l'esprit à la fois dérangé et reposant d'Akerfeldt. C'est dans cet optique que l'Héritage est préparé. En hommage aux gloires du passé, le son de l'album vieillit pour rajeunir l'oeuvre générale du groupe. Mais s'il est une influence qui surnage dans Heritage, c'est celle de King Crimson : le jeu des fûts de Martin Axenrot semble tout droit tiré de Red, les accords dissonants des guitares de Lark's Tongue In Aspic, le mellotron d'In The Court Of The Crimson King. D'autre part, la comparaison avec Damnation, inévitable pour le moment, s'arrête uniquement à l'absence de growl : ce dernier marquait par ses mélodies acoustiques plutôt calmes, enlevées et dépressives, tandis qu'Heritage corrode cet apaisement par des riffs vandalistes, des soli rares et pénétrants et des notes organiques vaporeuses au discours cohérent. D'un point de vue strictement vocal, Heritage marque de véritables progrès techniques - dans les graves et voix de tête toujours mirifiques, notamment sur "I Feel The Dark" et "Famine", plus grandes réussites de l'album - d'un Mikael Akerfeldt décomplexé ayant à raison assimilé sa gabegie vocale. Nul besoin de chant guttural pour exprimer tristesse, haine, dépression, dégout, neurasthénie, morosité...
La preuve avec cet album somme toute réussi, malgré quelques passages à vide comme "Nepenthe", trop longue à décoller, ou "Marrow Of The Earth", sorte de "Weakness" de par sa position finale et son désintérêt notoire.