Le dub, c’est un plat qui n’a jamais le même goût. Parce que le nombre de ses recettes possibles semble infini malgré l’utilisation du même ingrédient de base. Et la France, fidèle à sa réputation de meilleure gastronomie du monde, compte dans sa population artistique certains des meilleurs cuistots du style. On ne nommera pas ici tous ceux qui ont fait de ce genre hérité du reggae ce qu’il est aujourd’hui, à savoir une musique profondément ouverte vers l’extérieur. On se contentera simplement d’évoquer certains membres de la team France dont les récents albums nous ont convaincu. En l’occurrence High Tone meets Brain Damage (High Damage) et Twilight Motion (Dark City). Pourquoi les rapprocher ? Parce qu’ils ont mis, au sens propre comme au figuré, les petits plats dans les grands.
Cet effort commun c’est d’abord celui de la cohérence. Une cohérence qui s’exprime, dans le cas de High Damage, par la fusion, le mix. Mix des deux groupes (High Tone et Brain Damage) bien entendu, mais par-dessus tout, d’influences musicales diverses. L’ingrédient central reste le reggae, très présent, (« Shake Up est là pour le prouver), mais les épices sont nombreuses : électro (« Stereovision »), world music (« The Dawn » et son chant arabisant, « Nuclear Ambush » et ses teintes asiatiques), indie (« The Midday Sun ») et plus généralement des rythmiques décadentes proches du grand-guignol, de celles qui vous donnent envie de danser comme un monstre maladroit sur ses pattes de derrière (« Dub on Tune in and Drop out », « Brain Tone » relevé par la voix de psychopathe de Black Sifichi). High Tone meets Brain Damage a sur créer une collection de petits mets discrètement relevés, façon tapas, et préparés dans un même fourneau aux couleurs jaune vert et noir. On engloutit tout ça, sans faim et avec une seule envie : remettre le couvert.
L’approche de Twilight Motion est différente. Le groupe est plus jeune et probablement déjà biberonné au dub « contemporain », parfois très éloigné de ses racines jamaïquaines. Le reggae est donc ici placé au second plan, derrière ses caractéristiques rythmiques (une basse qui danse, une batterie virtuose). La recette des morceaux de Dark City est plus grasse, plus lourde que celle de High Tone meets Brain Damage : le métal n’est pas loin. Mais ce que le groupe perd en diversité de ton, il le gagne en puissance tout en conservant cette fameuse cohérence, cette fois dans le son, qui forme un grand tout, dans lequel Twilight Motion sait ajouter des ingrédients qui différencient des morceaux les uns des autres. On dit qu’il n’y a pas deux couscous pareils au Maroc, c’est pareil chez ce groupe de Tourangeaux, qui sait donner un goût de reviens-y à ses compositions en les assaisonnant de synthés inquiétants (« Minamata I et II »), d’extraits de films cultes (« Le Nouveau Western » et ses répliques francisées d’Il Etait une Fois dans l’Ouest), de claviers orientaux (« Open », « Under Urban »). Dark City peut sembler un peu long si on l’écoute d’une traite, mais le groupe a un talent suffisant, tel Idem par exemple, pour se démarquer des ténors du genre (Zenzile, notamment).
Ce qui marque donc chez ces groupes français, qu’ils aient une histoire déjà un peu longue (High Tone et Brain Damage) ou encore à construire (Twilight Motion), c’est leur capacité à surprendre, à inventer à partir d’ingrédients que d’aucuns jugeraient communs. Alors, pas de doute, sur la foi de ces deux galettes-là, on peut vous dire que leur dub, ce n’est définitivement pas de la daube, mais bien de la bonne bouffe.