Alors qu’elle pourrait s’égosiller ou s’ébruiter de la plus véhémente des manières, la tempête reste tapie dans l’ombre. Les mots sont presque murmurés, les guitares agitent délicatement leurs tensions mais la violence prend visage. The National, c’est la force tranquille, un groupe qui s’assoit confortablement dans une production aérienne, loin de la saturation grunge, mais au rock feutré entre la pop raffinée des premiers albums de Coldplay et la justesse sombre de Joy Division. Mais cet apaisement fait croître une anxiété moribonde. La peur, la solitude dominent une musique faussement calme. Le groupe avance à petit pas mais reste en perpétuelle inquiétude.
High Violet est peut-être l’un de leurs albums les plus réflexifs où l’angoisse restera parsemée sur chacune des classieuses sonorités. La cravate bien ajustée au costume, le micro parfaitement mis en place, Matt Berninger peut commencer son monologue introspectif : ce bariton, qui ne change pas ou peu d’intonation, mais qui fait passer beaucoup d’émotions par sa justesse de ton, et sa voix limite cassée par la tristesse (« Anyone’s Ghost »).
Ce qui est beau dans The National, c’est avant tout la sobriété du geste musical, ce rock indé minimaliste mais jamais misérabiliste, ces guitares mutiques et cette batterie omniprésente, véritable détentrice du rythme engoncé des partitions. Le groupe ne tombe jamais sous le coup du tube larmoyant fédérateur ou ne s’aventure pas dans le refrain rock burnée aguichant.
On est loin de ce que peut nous offrir une bande comme Kings of Leon à l’heure actuelle. Non, The National reste droit, fier comme un aigle et nous offre des morceaux racés, vidés de toute facilité d’écriture, qui se construisent avec pudeur. Derrière l’apparente simplicité des traits, le rock de The National s’intériorise, se compose de mélodies élégantes à l’image de la complainte qu’est « Sorrow ». Les mélodies qui composent cet album se voient entourer d’une orchestration fine.
Même si parfois le groupe desserre les étreintes de sa pop rock pour mélanger sa science avec des sonorités opératiques avec des chœurs (« Conversation 16 »), du piano (« England »), violon, The National ne se jette pas dans l’arène du rock psyché ou du folklore d’un groupe comme Arcade Fire. The National est d’une humilité sans faille, cherche l’esprit et non la chair, la réflexion plutôt que la douleur : c’est un peu le groupe premier de la classe, parfois un peu trop parfait, un peu calculé, ou trop poli.
Mais c’est ce qui est le beau dans High Violet. Une douce perfection qui s’étiole par le poids des mots, par la profondeur du questionnement comme sur le sublime final qu’est « Vanderlyle Crybaby Geeks » susurré par cette guitare ou sur le pesant « Afraid of Everyone ». De ce fait, The National ne reste pas au fond de la classe mais se sert de sa pudeur pour faire éclore son charisme adulte ébouriffant.